• Théâtre  • « Take care » de Noémie Carcaud : bonté, beauté, subtilité, ça rime.***

« Take care » de Noémie Carcaud : bonté, beauté, subtilité, ça rime.***

Critique:***

D’emblée, tout nous est donné : une jeune femme vêtue de rouge nous regarde entrer, comme un immense point d’interrogation, planté en bord de scène. Son appel muet, sa vague demande d’aide on les comprendra plus tard, progressivement. Mona, interprétée avec une subtile élégance par Jessica Gazon, c’est l’axe central autour duquel tourneront et se définiront les autres personnages. Son handicap, sa maladie, jamais bien définis, ses caprices de femme enfant, ses moments de folie donneront son rythme à un groupe de 7 personnages en quête de quoi? D’eux-mêmes? De leurs relations présentes et passées? De leurs fantasmes, surgis de partout et de nulle part ? De leur besoin maladroit de protection de la plus faible d’entre eux ? Un peu de tout ça, par vagues successives.

Tout nous est donné aussi par une scénographie très belle et fonctionnelle de Marie Szernowicz. C’est une œuvre d’art, entre cubisme et symbolisme, sur les murs et au sol, une sorte de boîte à rêves pour remonter le temps. Mais c’est d’abord un espace hyper réaliste, avec table conviviale, vieux frigo, canapé fatigué, débarras encombré de vaisselle pour situer les personnages dans cette maison qui menace ruine. Et ça commence à discuter ferme, an sein de la fratrie, entre partisans et adversaires de la vente, autour d’une table, symbole de la convivialité, de la chaleur ce groupe, agité de contradictions.

Autour de ces deux axes, une maison à vendre, ou pas, et une jeune femme malade à protéger, mais comment, des liens se tissent, se nouent, se dénouent entre les protagonistes, 3 femmes et  4 hommes. L’espace de jeu présente des recoins multiples où les 7 acteurs ne sont jamais inactifs, occupés à des jeux discrets ou des tâches ménagères pendant que les duos, trios ou quatuors se chamaillent ici et là. La « hiérarchie » de la famille (qui est père, mère, fille, frère, oncle, amant) est laissée à l’imagination du spectateur. Un test projectif, en somme où les rapports de force classiques au sein d’une famille pour un héritage font place aux fantômes du passé au sein de chacun(e). Chacun va devoir prendre ses responsabilités vis-à-vis de Mona, la malade quasi muette. D’où le titre « take care ». Son ambiguïté, en anglais, va de « prendre soin de » à « donner de l’attention à ». La bienveillance peut donc être active ou distante, excessive ou minimaliste.

Le texte qu’on entend n’est sans doute pas « d’anthologie », à publier chez Lansman ou à l’Arche. C’est le produit, théâtralement intense, d’un long travail de plateau des acteurs, avec la participation active de la scénographe. Chacun s’est défini par rapport à la malade et en explorant ses rêves et ses fantasmes. Le spectacle est souvent « choral » au sens musical du terme, avec une tonalité parfois saccadée, rythmée par les colères les joies, un soupçon d’hystérie. Avec soudain, une étonnante danse /transe qui surgit comme un défoulement collectif des tensions accumulées. Le drame est toujours là, derrière les lézardes de la maison mais l’humour et la tendresse l’emportent. La mise en scène de Noémie Carcaud, remarquable d’intelligence, repose  sur la forte scénographie de Marie Scernowicz et sur un collectif d’acteurs à l’unisson : outre Jessica Gazon, Cécile Chèvre, Yves Delattre, Sébastien Fayard, Cédric Le Goulven. Fabienne Laumonier et Emmanuel Texeraud (aussi metteur en scène récent de « l’Intruse » de Maeterlinck, nominée aux Prix de la Critique2016) nous emportent dans leurs contradictions.

Le spectacle, que j’ai vu fort tard en cette rentrée théâtrale tonitruante, n’est visible que ce samedi 22 à Bruxelles et plus tard en France. On lui souhaite une vie « au-delà » en Belgique.

« Take care »  de Noémie Carcaud, au Théâtre de la Vie  jusqu’au 22 octobre.

http://www.theatredelavie.be/

Christian Jade RTBF.be

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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