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Théâtre de Liège. Festival « Emulations »: 3 petits bonheurs à recommander.

J’ai passé une après-midi au Théâtre de Liège, à musarder paisiblement parmi la ’jeune création’ et dans des registres et des âges fort différents. Chaque fois la bonne surprise.

Critique: Trois étoiles, toutes***

J’avais raté à Bruxelles la délicieuse ’Convivialité’ ***d’Arnaud Hoedt et Jérôme Piron sur l’orthographe, la torture classique, l’éternel combat, quel que soit l’âge ! Ancien prof de français et d’espagnol, je connais la capacité des Espagnols à rationaliser l’écriture de leur langue sans état d’âme. Et la prétention incommensurable des Français à l’égard de leurs ‘usages’ : coincés entre l’Académie française qui a 100 ans de retard au compteur, le Bon Usage du Belge Grévisse et les linguistes, hommes de science iconoclastes, que fait l’usager français ? En Belgique, on parvient à des ‘mini-réformer’ mais en France ? L’enfant maso devient l’adulte sado pour sa descendance sans compter la lutte des classes pour la possession bourgeoise de la Loi : le spectacle raconte tout ça, en une bonne heure, avec une simplicité, une clarté, un humour qui conquièrent n’importe quel auditoire. Spectacle tonique (je ne parle pas de l’accent, du même nom) mené tambour battant par deux profs qui se disent l’un prof de français et l’autre de …religion Vrai ou faux ? L’orthographe comme ‘religion’, de fait avec ses dogmes et ses punitions sociales et son histoire ‘construite’ comme si un Moïse nous imposait ses tables de la Loi ! Alors que tout est venu d’un pouvoir fort (mais on écrivait encore n’importe comment sous Louis XIV !), surtout au XIXè siècle quand la bourgeoisie a instauré la difficulté orthographique comme évidence de son pouvoir sur les pauvres… sans ‘éducation’.

Bref allez apprendre des tas de choses en vous marrant à ce spectacle qui démonte notre douleur et nos hontes comme si on buvait ensemble une bonne pinte/peinte/painte/pinthe de péquet/pekhet/pèquai/paiquais Santé !

Le ‘14 juillet’*** de Fabrice Adde c’est une boîte à surprises à commencer par le titre qui semble annoncer un jour de fête alors qu’il s’agit du cauchemar d’un acteur qui ‘dit faux’ tout en ‘jouant vrai’. Il raconte des énormités sur son producteur et son metteur en scène qui font rire. Il feint de s’en plaindre alors qu’il leur doit beaucoup !  Mais sur scène l’ingratitude, ça paie. Il nous parle de la genèse difficile de son solo, c’est vrai : 2 ans qu’il y travaille. Mais il ne nous dit rien sur les vraies raisons de cet accouchement difficile : pas évident de parler de soi en se moquant de soi à partir de petites bribes de soi à théâtraliser en trouvant un fil conducteur. Le ’personnage’ qu’il joue devant nous est un conférencier qui dans le monde de l’entreprise apprend aux gens (nous, en somme) à parler en public ! On n’y pas croit un seul instant mais  l’invraisemblance est la clef de cette démonstration par l’absurde : une version moderne du fameux ‘paradoxe sur le comédien’ de Diderot où le comédien est d’autant plus convaincant qu’il prend ses distances avec ses émotions. Ici un pari casse-gueule puisqu’au fond il ne parle que de lui-même, par petites anecdotes vécues, déformées, amplifiées  jusqu’au ridicule. On marche à fond dans ces vraies/fausses confidences qui disent tout simplement ses angoisses, étroitement liées, d’homme et d’acteur. Visuellement il a la tenue coincée du conférencier ‘sérieux’ mais à l’intérieur ça bouillonne et son metteur en scène lui a trouvé des objets simples pour traduire ses angoisses et nous faire rire. Avec trois morceaux d’anthologie,  la banane Chiquita, décortiquée jusqu’au trognon capitaliste, une crise de nerfs rageuse qui détruit un…micro et une tentative ratée de suicide. Règne donc  sur ce solo un petit parfum de psychanalyse, fragile mais réussie, puisque transcendée par le rire et donc la connivence avec ce cher public, très complice à la première. Un plaisir de voir Fabrice, acteur de cinéma (‘Eldorado’de Bouli Lanners et ‘The Revenant’ d’Alejandro Inarritu) reprendre goût aux planches.

Et puis il y a la découverte d’un nouveau groupe, le Darpa collectif dans La disparition des lucioles’***, un produit typiquement liégeois dans son ambition de peindre les problèmes de société à la façon d’un documentaire un peu foutraque mais très drôle. On y voit le remue ménage causé par la construction d’une nouvelle autoroute avec la complaisance du politique et la révolte des habitants de quartier. Un sujet bateau mais tout est dans la manière. Ce qui fonctionne très bien ce sont les contradictions à l’intérieur du groupe entre le ‘révolutionnaire’ un peu verbeux, les anars, les pragmatiques. Plus proches de Don Quichotte que de Marx (ou alors Groucho), on les croirait sortis d’une caricature de mai 68. (ça relie les générations…perdues). Lutter oui mais comment ? La violence oui mais…Avec des enjeux écologiques et des techniques très visuelles qui font partir le décor d’une petite construction en carton pâte, transformable à vue,  et projetée sur l’écran. Et surtout la découverte d’un groupe doué pour la loufoquerie collective mais avec déjà un grand talent (l’interprète le plus verbeusement révolutionnaire du groupe). Noël Godin était l’invité de la première, comme une marque de fabrique, une signature. Suivront Greenpeace et quelques autres. Sérieux, quoi. On peut penser sans se prendre la tête.

Liégeois, ce spectacle, certes mais coproduit par le Poche à Bruxelles. Surveillez l’arrivée de ces dragées au poivre.

Christian Jade (RTBF.be)

 

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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