Tous singuliers. C’est l’emblème des Doms en Avignon-OFF 2019. Alain Cofino Gomez s’explique.
Depuis qu’Alain Cofino Gomez est à la tête des Doms (le théâtre financé par la FWB comme vitrine de la production francophone en Avignon), les programmations surprises se succèdent. Celle de 2019 est centrée sur la singularité d’expériences-limites, parfois vécues (l’opération d’un cerveau menacé par un cancer), parfois imaginaires comme « On est sauvages comme on peut » où la folie n’est jamais loin. Avec des spectacles au format inhabituels dans le OFF (parfois plus de 2h) et 4 spectacles jeune public au lieu d’un seul.
Le Directeur s’explique ci-dessous mais d’abord le lien vers toute la programmation (du 5 au 27 juillet)
Interview d’Alain Cofino Gomez (AC) , directeur des Doms, par Christian Jade (CJ)
CJ : Vous donnez une place centrale à la jeunesse cette année avec 4 spectacles » jeune public » et une ouverture vers de jeunes créateurs.
AC : Je trouve que la jeunesse n’est pas entendue, pas reconnue comme un interlocuteur valable. Ça m’a fort touché, la violence avec laquelle on a dit à la jeunesse « On n’a pas envie de vous entendre, tout ce que vous avez à dire ne nous intéresse pas, la façon dont vous le dites n’est pas sérieuse« . Ça m’a porté à regarder dans mon outil, qui est le théâtre et la scène, : » qu’est ce qui est jeunesse » ? J’ai donc été voir ça, et je me suis dit « moi, de mon côté, je vais en tout cas entendre, et faire venir, et ouvrir la porte à cet espace-là, à cette jeunesse -là « . Et au lieu d’un spectacle « jeune public », j’en ai programmé 4.
CJ : Vous avez repéré au festival de Liège deux créations faites par des jeunes avec des fragilités et des beautés. Et des espaces plus longs, parfois plus de 2 heures…
AC : Oui, cette année il y a des grands formats, il y a des longues durées, il y a beaucoup d’acteurs sur la scène. C’est aussi cette question de notre mission de service public.
Notre scène est petite mais elle peut recevoir sans qu’il y ait de transformation particulière. Pour ces deux spectacles, il y en a un qui est venu en résidence aux Doms. Et quand il est venu, moi je voyageais, j’allais voir des spectacles, je me suis assis dans ma propre salle au théâtre des Doms, et j’étais secoué. J’ai vu quelque chose.
CJ : Vous choisissez souvent des spectacles qui vous « secouent ». Dans « On est sauvage comme on peut », d’où vient la secousse ?
AC : Des acteurs. Et de leur force artistique, de leur intensité sur le plateau. Les thématiques, c’est une chose. Du théâtre, il y en a dans toutes les thématiques. Mais c’est la force théâtrale qui m’intéresse.
CJ : Et dans « Des Caravelles et des Batailles » ?
AC : C’est une autre force théâtrale, qui est beaucoup plus douce, beaucoup plus contemplative. Ces deux spectacles qui nous posent des questions avec l’instrument du corps de l’acteur à deux endroits différents, l’un qui est plus sanguinaire, plus charnel, et l’autre qui est plus méditatif, une observation lente du monde et de nos rapports. Presque philosophique.
CJ : De la philosophie on en trouve aussi dans « Crâne », d’après Patrick Declerck, adapté et mis en scène par le duo Laubin/Depryck 2H10 à 10h du matin. Un pari risqué ?
AC: Pour l’horaire, on met quand même depuis 2 ans des spectacles qui ont de l’épaisseur à 10h du matin. Je l’ai vu deux fois, et je n’ai pas vu le temps passer. Moi, je ne suis pas là pour formater ce qui sort de la Fédération. Il y a un spectacle de deux heures qui sort, qui apparaît, qui surgit, et il est formidable. Eh bien avec les moyens du théâtre des Doms, sa mission, je peux le faire venir et parier sur lui. Le théâtre des Doms, c’est faire tourner les œuvres en France, mais aussi importer symboliquement notre fierté de ce qu’on produit sur la scène. Et si elle prend 2h, alors elle prend 2h.
CJ : « Crâne« , ça raconte quoi ?
AF : On doit enlever un cancer logé dans le cerveau d’un homme à des endroits où la question du langage est mise en danger. Or c’est un auteur, un philosophe, un intellectuel. On va triturer son cerveau, et il va peut-être perdre l’usage d’éléments qui sont importants dans toute sa vie, dans la vie de tout le monde, mais aussi en tant qu’intellectuel. Et petit à petit, on le voit arriver en salle d’opération. Pour enlever cette tumeur, on lui ouvre le crâne et on réveille le patient pendant l’opération. Il n’y a pas de douleur, mais on explore les parties du cerveau responsables du langage. Jusqu’où ne pas aller trop loin ?
CJ : Donc, on est dans le spectacle existentiel ?
F : Oui mais très simple. Car finalement, ces deux heures, ça parle du cerveau, mais c’est très concret. C’est un spectacle que tout le monde peut voir comme des humains devant la probabilité de la mort et de la perte.
Christian Jade (RTBF.be)
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