» Vania » ! Un Tchékhov déchirant, agressif, insinuant, choral. Une épure parfaite signée Christophe Sermet.
« Réussir son Tchékov »? LE test de maturité de tout metteur en scène ambitieux. Christophe Sermet s’empare d’Oncle Vania , le fait vibrer juste et «orchestre» ses acteurs pour porter l’ensemble à ébullition. Un grand bonheur !
« Réussir son Tchékov »? LE test de maturité de tout metteur en scène ambitieux. Christophe Sermet s’empare d’Oncle Vania , le fait vibrer juste et «orchestre» ses acteurs pour porter l’ensemble à ébullition. Un grand bonheur !
Critique : ****
Oncle Vania c’est du Tchékhov bien huilé, le portrait d’une famille détruite parce que l’argent ronge tout, la jalousie porte chacun à détruire ou s’autodétruire. Quant à l’amour, on se trompe toujours d’adresse : on fuit qui vous aime et on se heurte, en vain, à qui ne vous aime pas. La tragédie guette mais l’humour, la tendresse et un vieux fond d’optimisme évite, de peu le massacre ou le suicide.
Ville contre Campagne
Comme toujours chez Tchékhov « la ville » débarque à la campagne, fait trois petits tours, détruit tout sur son passage et puis s’en va. Ici l’emmerdeur citadin est un vieux prof pédant, Sérébriakov, accompagné de sa très jeune deuxième épouse, Elena, qui ne l’aime plus et se laisse séduire par le docteur du coin, Trépov. Un médecin désabusé qui n’aime plus que la nature… et les femmes. Les « ruraux » de l’histoire ce sont deux personnages attendrissants, Oncle Vania, le beau-frère du prof des villes, et sa fille d’un premier lit, Sofia, qui » tiennet la vieille baraque. Vania en a marre de se faire exploiter et de trimer pour son parasite de beau-frère. Et Sofia se désespère d’être laide et incapable de séduire le Don Juan Trépov.
Un fond connu, un dynamisme nouveau.
Le mérite de Christophe Sermet est d’avoir rendu ce portrait de groupe passionnant avec deux à trois idées simples, qui éclairent tout et insufflent à la troupe un dynamisme irrésistible.
1Retraduire le texte, avec l’aide de Natacha Belova, pour casser la petite musique académique et le mettre dans la bouche d’acteurs d’aujourd’hui.
2. Casser le naturalisme russe petit -bourgeois d’un après midi à la campagne avec bouleaux ou cerisiers obligés. .On fait face à un seul immense » zinc » où les verres de vodka s’alignent, comme si le désespoir guettait, au fond du verre. Ce comptoir mobile, orientable sera le seul « appui » de jeu des acteurs, découpant et l’espace et le temps. Il servira de promenoir, de lit, d’obstacle ou d’appui tendu aux rages et désespoirs.
3. Quant au » décor musical « , il sera » universel « , anglais ou italien, chanté en chœur ou en solo par des acteurs grattant de petits instruments. Pas l’ombre d’un folklore russe ou alors en clin d’œil : le « bois », c’est un tronc d’arbre où repose…une hache, où exercer ses frustrations, ses agressivités et qui servira même de lit d’amour au docteur écolo, qui aime les femmes et la nature. Humour pas mort.
Ce terrain de jeu épuré libère alors les énergies d’un groupe d’acteurs obligés de construire leur espace mental et de libérer leur parole avec un dynamisme jouissif. Philippe Jeusette, totalement frustré, en Vania exploité, lance des cris de guerre à la fois terrifiants…et comiques. Yannick Rénier, en docteur Astrov est plus retors, tour à tour séducteur avec l’une, impitoyable avec l’autre, prophétique en visionnaire de la nature détruite. Pietro Pizzuti, crane chauve, barbe inquiétante incarne avec une élégance ironique le détestable professeur Sérébriakov. Trois grandes pointures qui ne jouent pas « perso » mais en équipe soudée en belle harmonie d’ensemble, où la jeune Sarah Lefèvre en Sonia, confirme l’intense présence dont elle faisait preuve la saison dernière dans « Blackbird », de David Harower.
Dans cette partition grinçante la société écrase les individus sous le poids de logiques qui les dépassent. Un constat éternel subtilement actualisé, sans effets de manche, dans une démarche presque entomologique de Tchéchov sur ses papillons humains .Christophe Sermet met à jour les secrets les plus douloureux, laisse éclater les révoltes les plus noires mais sa conduite d’acteurs très construite, laisse le groupe respirer, hurler parfois sans pathétique superflu. De ces petits malheurs accumulés, de ces états d’âme parfois morbides naît une joie de vivre finale communicative. Splendide !
« Vania« ! de Tchékhov, mise en scène de Christophe Sermet, au Rideau 5Salle Marni) jusqu’au 22 novembre.
Christian Jade (RTBF.be)
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