• Théâtre  • « Les Borkman » d’après Ibsen : une libre adaptation « garage rock » de Christophe Sermet ***

« Les Borkman » d’après Ibsen : une libre adaptation « garage rock » de Christophe Sermet ***

C’est quoi une « version de référence » en théâtre ou en musique ? Un spectacle, une voix, un personnage qui vous ont marqué à vie. Il y a tout juste 30 ans en février 1993 débarquait au National, dirigé par Philippe Van Kessel, « John Gabriel Borkman », l’avant dernière pièce crépusculaire d’Ibsen dont le héros, un vieillard condamné par la justice pour faillite frauduleuse était incarné pat l’inquiétant Michel Piccoli aux prises avec deux sœurs jumelles, Bulle Ogier et Nadia StrancarLe tout mis en scène et adapté par le Suisse Luc Bondy, aidé par Botho Strauss, auteur de la « Trilogie du Revoir », une des grandes mises en scène de Van Kessel. Un résumé de l’excellence fin de XXè siècle (accessible aux plus de 50 ans) !

Nostalgie ? Sans doute, d’autant que Piccoli, Bondy et Van Kessel sont morts il y a peu. Le passage du temps. Mais surtout une remontée aux racines de mes passions théâtrales. Sans vouloir écraser de références ce « Borkman » d’un autre grand Suisse, Christophe Sermet dont j’ai vu et apprécié, depuis quinze ans, tous les spectacles, qui creusent le thème de la famille conflictuelle.

Yann Borkman ou le Fric Roi 

Le passage du singulier « John Gabriel » au collectif « les » Borkman ne change pas l’intrigue ni les personnages mais le point de vue sur eux. Ainsi le vieux Yann condamné à cinq ans de prison pour malversations fiscales- une honte pour sa femme Sara et son fils Adrien- vit reclus depuis huit ans dans une cave où il végète, accroché à une guitare (remplaçant le piano d’origine). Il est persuadé qu’il a été condamné injustement et rêve toujours de donner la prospérité au monde via le capital. Un « rêveur » prophétique, précurseur des actuels « oligarques ».  Mais face à Vilhelm, un vieil ami, poète dramatique amateur qu’il a ruiné il est toujours aussi odieux. Odieux aussi avec Gwendoline, la sœur jumelle de sa femme, un amour de jeunesse sacrifié là aussi à des intérêts financiers. Yannick Renier excelle dans ce rôle de patriarche déchu et cynique.

Adrien, l’Enfant Roi du rock.

Yann, personnage central dans l’œuvre d’Ibsen, est marginalisé dans la version Sermet, née d’un travail collectif avec son groupe d’interprètes familiers ,en pleine période Covid. Ils et elles se sont approprié un ou plusieurs personnages, ont transformé les dialogues pour leur donner un « mordant » contemporain et une intonation rageuse. Quelle hargne entre les sœurs jumelles, Sarah, la mère d’Adrien, et Gwendoline, amoureuse de Yann, qui a gardé le gosse et veut le récupérer et lui donner son nom. Elles aussi sont caricaturales et ne pensent qu’à elles en voulant utiliser Adrien soit pour restaurer l’honneur perdu des Borkman soit pour s’en servir comme bâton de vieillesse. Adrien les renverra dos à dos préférant s’enfuir vers le Sud lumineux avec une voisine Vany et sa fille Frida, des musiciennes. Sarah Lefèvre et Gwendoline Gauthier se dévorent sans pitié dans une pièce où le rapport de force et de haine domine, adouci par quelques répliques drôles qui tirent le spectacle vers la tragi-comédie.

Mais la vraie trouvaille c’est le rôle central d’Adrien Drumel, acteur exceptionnel de présence, titulaire ici de deux rôles, le fils Adrien et l’ami Vilhem et d’une fonction centrale, le chanteur de rock des années 80/90. Acteur ou rockeur, constamment actif, performant, drôle pendant une heure 40, quelle pêche !

Ce « Borkman » de Christophe Sermet, resserré dans les dialogues, convainc petit à petit malgré une tonalité parfois hurlée. Le « chœur antique » de garage rock, tenu par Adrien et ses comparses Vanessa Compagnucci et Gwendoline Gauthier devient un commentaire ironique délicieux sur des situations dramatiques rudes.  Personality Crisis des New York Dolls, I’m not a looser de Amyl and the Sniffers ou encore We’re a happy family des Ramones nous soulagent d’échanges souvent tendus.

La conclusion à Elvis Presley :  That’s all right.

« Les Borkman » , texte et m.e.s Christophe Sermet d’après Hendrik Ibsen 

Aux Tanneurs jusqu’au 28 janvier 

Christian Jade 

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