• Théâtre  • Philippe Sireuil, directeur du Théâtre de la place des Martyrs : « appétit et sérénité » dans sa nouvelle fonction.

Philippe Sireuil, directeur du Théâtre de la place des Martyrs : « appétit et sérénité » dans sa nouvelle fonction.

Trois fois directeur de théâtre, une mise en perspective. Interview de Philippe Sireuil par Christian Jade.

 

Philippe Sireuil a connu le « bonheur » au Varia et la « douleur » au Jean Vilar. Sa tâche actuelle, aux Martyrs, sera « rude mais passionnante« . Il la résume d’une phrase:  » Ce qui est intéressant dans la fonction que je retrouve aujourd’hui, ce n’est pas tant l’étiquette, la posture ou le pouvoir qui en découlent, mais bien les leviers qu’elle permet d’actionner pour tenter d’influer sur la destinée artistique d’un lieu, et des gens qui y travaillent. ». Sur son âge-il ironise : « j’ai 62 ans mais… je me soigne ».

 

Une synthèse d’expériences.

Philippe Sireuil dirigeant Jacqueline Bir dans

Philippe Sireuil dirigeant Jacqueline Bir dans – © Zvonock

Ch.J : Vous êtes directeur d’un théâtre pour la troisième fois. Pouvez-vous mettre en perspective ces trois expériences ? Plus précisément : quelle leçon tirez-vous des deux autres pour exercer cette troisième ?

PH.S Le Varia fut un bonheur – concourir à l’édification de pareil projet et le mener à bien vous remplit. L’Atelier Jean Vilar fut lui une douleur, et les deux expériences – l’une s’étalant dans le temps, l’autre passant à la vitesse d’un météore – ne peuvent être comparées, les enjeux étaient tout à fait différents, les hommes aussi. Je suis  » riche  » d’elles, c’est un fait, et j’aborde le temps présent avec appétit et sérénité, sans avoir renoncé à ce qui me constitue. En présentant ma candidature à la succession de Daniel Scahaise à la direction du Théâtre de la place des Martyrs, je voulais en quelque sorte affirmer mon désir de ce lieu dont je connais une part de l’histoire et du présent, et ma volonté d’en prolonger et d’en développer le cours, nanti de l’héritage du passé et désireux d’un futur qui ne brade rien des valeurs qui m’ont habité jusqu’à aujourd’hui. Je suis heureux d’avoir reçu mandat pour ce faire.

 

CH.J : Ici comme au Varia il y a trois compagnies dont une sans directeur. Vous allez devoir jouer au sage, au diplomate ?

PH.S :Lors de la création du Théâtre Varia, chacun de ses fondateurs avait une subvention distincte, régime que nous avons gardé durant les premières saisons, avant de les  » fondre  » dans une seule et nouvelle entité juridique : j’avais à l’époque une subvention égale ou légèrement supérieure à la somme de celles de mes deux confrères (à titre de comparaison, la subvention dont je disposais en 1981 au Théâtre du Crépuscule correspondrait aujourd’hui sur base de la stricte inflation – à un montant de près de 450.000 €). Aux Martyrs, la situation est différente : trois groupes artistiques, un composé essentiellement d’acteurs et d’actrices, et deux autour d’une personnalité, dont l’activité et les moyens budgétaires mis à disposition sont régis par le contrat programme du théâtre qui distribue la subvention entre quatre entités, les trois compagnons et les fonds à réserver au fonctionnement administratif et technique du lieu.

Je me retrouve aujourd’hui, bien que les circonstances soient différentes puisqu’il ne s’agit plus de créer une nouvelle scène, mais bien d’assurer le maintien et le développement d’un théâtre existant, dans une configuration similaire à celle que nous avons vécue en 1981 lorsque répondant à mon invitation Marcel Delval et Michel Dezoteux ont joint leurs forces aux miennes, avec pour objectif de concourir à la création d’un outil et de le partager, au travers d’un projet tripartite.

Le théâtre est moins affaire de sagesse ou de diplomatie, que de conviction et de votre capacité ou non à la faire partager, que ce soit en direction des confrères ou consœurs, des membres de l’équipe administrative et technique, ou des spectateurs.

Ce qui est intéressant dans la fonction que je retrouve aujourd’hui, ce n’est pas tant l’étiquette, la posture ou le pouvoir qui en découlent, mais bien les leviers qu’elle permet d’actionner pour tenter d’influer sur la destinée artistique d’un lieu, et des gens qui y travaillent.

La tâche est parfois rude, mais elle est passionnante.

Transition, cohabitation, âge.

Philippe Sireuil

Philippe Sireuil – © Marc Vanappelghem

CH.J : La Ministre compte mettre à jour la transition entre directeur de compagnie et de théâtre. Devrez-vous mettre votre compagnie en veilleuse ? Trop tôt pour en parler ? Objet de négociation avec la Ministre ?

PH.S: Selon la pratique et les termes du contrat programme actuel qui régit le Théâtre de la Place des Martyrs, le directeur artistique du lieu n’est pas tenu d’abandonner son travail de metteur en scène, sans quoi Daniel Scahaise n’aurait pu mener à bien les spectacles qu’il y a fait, à raison de deux ou trois par saison, au travers de Théâtre en Liberté. Je prends la direction du Théâtre de la Place des Martyrs pour y  » faire du théâtre  » ainsi que je l’ai écrit dans mon dossier de candidature, je suis un metteur en scène, mes consœurs et confrères sont des acteurs ou des metteurs en scène, nous entendons pleinement être des artistes au centre, pour reprendre la formule développée par l’opération  » Bouger les lignes « , avec le souci d’être responsables de nos décisions.

Je rappellerai que je n’ai pas de compagnie, qu’il s’agit juste d’une modeste structure de production dotée d’une subvention annuelle de 167.000 €, prévue et distribuée par le contrat programme du Théâtre de la Place des Martyrs. Ma nomination à la direction artistique n’augmente en aucun cas l’assiette budgétaire des moyens dont je dispose, et j’ai le sentiment d’être plutôt affamé que gourmand.

CH.J : Les Martyrs, jusqu’à présent c’était la  » cohabitation  » de trois esthétiques très différentes, comme au Varia d’ailleurs. Allez-vous jouer cette même cohabitation ou essayer d’unifier le projet ?

PH.S : Les trois compagnons ont exprimé leur souhait de développer la complémentarité et la diversité qui les définissent, en mutualisant leurs forces et leurs initiatives, et en les renforçant même au travers du développement des transversalités artistiques qu’ils souhaitent établir l’un vis-à-vis de l’autre. Il est à ce stade prématuré d’en dire plus.

CH.J: Vous avez 62 ans et on oblige les directeurs à se retirer à 65. Les mandats sont désormais de 4 ans (5 auparavant). Ce sera un autre objet de négociation ? Vous êtes quelqu’un qui a une « vision », une perspective. Pour le moment quelle est votre « vision », votre image de cette nouvelle mission?

PH.J : La vie est mouvement, et, dans le passé j’ai quitté des  » rentes de situation  » – la direction du Théâtre Varia ou l’enseignement à l’INSAS – de mon plein gré, sans contrainte aucune. J’ai toujours plaidé pour que puissent se conjuguer dans le même élan mobilité et pérennité. Lors de la défense de mon dossier, j’ai affirmé que je postulais un mandat de cinq années, que je considérais mon projet de direction, comme un trajet à effectuer entre le passé dont j’étais l’héritier et le futur dont j’aimerais être le générateur.J’ai soixante deux ans, de fait, mais comme le disait un humoriste, je me soigne. Alain Juppé a septante deux printemps, Hillary Clinton soixante-six et ils s’apprêtent l’un et l’autre à concourir aux plus hautes fonctions dans leurs pays respectifs, le pape dont on salue çà et là la tonicité en a septante huit – je pense donc en toute immodestie que m’acquitter de la tâche que l’on me confie aujourd’hui ne constitue pas un objectif insurmontable et que j’ai la vigueur, les compétences et l’énergie nécessaires à pareille mission.

Christian Jade (RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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