» Frankenstein » d’après Mary Shelley. Les malheurs d’un monstre géant et du petit Victor. Une étonnante performance de marionnettiste.
Dans le laboratoire de vie et de mort installé sur le plateau du National, des comédiens hyper sympas nous accueillent avant le spectacle pour nous raconter l’histoire de petits objets récoltés ici et là. Ils sont comme la boîte à souvenirs et des acteurs et de l’équipe du Théâtre national et de quelques spectateurs. Déglingués ou pas ces objets proviennent de morts qui continuent à (sur)vivre en nous et racontent tous une histoire plus ou moins triste, que les acteurs s’efforceront d’intégrer à l’histoire déjà passablement compliquée du » Frankenstein » de Mary Shelley.
Ces objets, une vieille montre en or, un flacon de parfum, une bouteille de whisky, un chat empaillé sont aussi reliés au mythe parce qu’ils deviennent la » chair » du » monstre » dont les membres et le squelette sont disséminés sur le plateau, en attente de vivre. Il deviendra petit à petit une marionnette géante, littéralement » monstrueuse » (6 mètres de haut !), d’une beauté fascinante et lugubre, menaçante et menacée. Et manipulée (et créée) par un marionnettiste professionnel, Michael Pietsch et 6 acteurs en équilibre instable face à leur » création « . Et qui manipulent aussi de petites marionnettes représentant l’omniprésent Victor (Frankenstein), le savant fou au corps de petit garçon (on est tous de jeunes » fous » en puissance ?), son frère William, assassiné par le monstre, et un Aigle qui viendra atterrir sur la tête d’un spectateur. Un aigle ? Ben oui, c’est bien connu: » Prométhée, c’est son aigle » et le titre complet du » Frankenstein » de Mary Shelley est » Frankenstein ou le Prométhée moderne « .
Spectaculaire et dispersé.
– © Hubert Amiel
Et le tour est joué ? Oui et non. Ca marche fort bien, surtout dans la deuxième partie, consacrée à la construction/destruction du monstre, parce qu’enfin on aborde le sujet principal, le monstre face à son » apprenti sorcier « , Victor Frankenstein, les souffrances du monstre rejeté par les humains et sa vengeance, le meurtre de William, le frère de Victor. Ca marche aussi parce qu’on souffre avec ces acteurs, dont Alfredo Canavate et Bruce Ellison, si habiles à tirer les ficelles (et quelles ficelles !) d’une statue géante d’une tonne toujours au bord de l’effondrement possible. La performance est impressionnante, pas seulement parce qu’on devine tout le travail pour arriver à ce résultat spectaculaire mais parce que c’est simplement beau et donc visuellement convaincant. Michael Pietsch le créateur de marionnettes est » géant » et le musicien sur scène Anton Berman subtil.
Il reste que j’ai calé sur deux points importants : les histoires d’objets éparpillent notre attention sur mille petits détails certes reliés par le thème de la mort et de la guerre mais effleurant aussi au passage l’affaire Dutroux, la deuxième guerre mondiale, le front de l’Est russe donc Hitler, et le colonialisme…belge, comme si le » mal » du monstre était réparti sur toutes les têtes, of course : une culpabilité généralisée et donc vague. Une réflexion qui serait intéressante si elle n’était aussi » diluée « , sans lien ni progression dramatique autre qu’anecdotique, sous le mode de l’accumulation et pas de la synthèse. Réservé donc sur cette mise en scène de Jan-Christoph Gockel qui demande à ses acteurs une concentration sur l’action de marionnettiste plus que sur un texte confus, très éparpillé, avec trois langues, français, anglais, allemand qui se chevauchent (excellents surtitres, heureusement! ). Je ne suis pas un fana du » pitch » anglo- saxon mais un bon fil conducteur ça aide quand même à entrer dans le spectacle et à y rester.
Autre réserve: le rapport à l’original de Mary Shelley et à sa thématique proche de la science fiction, qui aborde au moins trois thèmes actuels, le rapport pervers à la science, le désir d’éternité (le fameux ‘transhumanisme’ contemporain) et le refus de la différence. On ne les retrouve pas ici ou alors enfouis dans un terreau où domine une assez vague obsession de la mort et une forte nostalgie du passé. Assez banal, en somme.
Au total, une belle démonstration de savoir faire visuel, une performance inoubliable de marionnettiste et un goût de trop peu sur le sens d’une œuvre philosophique rendue anecdotique.
» Frankenstein « , d’après Mary Shelley, de Jan-Christof Gockel et Michael Pietsch.
Au Théâtre National jusqu’au 17 mars.
A Mars/Mons les 21 et 22 mars.
Christian Jade. (RTBF.be)
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