• Théâtre  • « L’Eté 42, rafle dans les Marolles  » (R. Kalisz): un moment de théâtre-vérité, sobre, émouvant.

« L’Eté 42, rafle dans les Marolles  » (R. Kalisz): un moment de théâtre-vérité, sobre, émouvant.

Le quartier des Marolles à Bruxelles est devenu une sorte de prolongement  » bobo  » du quartier hyper chic du Sablon. Sa  » gentrification  » s’est faite par étapes et le quartier  » populaire » où l’on parlait le savoureux patois bruxellois, mélange de flamand et de français, est désormais  » mixte  » : les pauvres y sont souvent d’origine maghrébine et les riches des commerçants, antiquaires et autres  » bourgeois bohèmes ». Ce que la mémoire collective a totalement oublié c’est que dans  » l’entre deux guerres « , les Marolles avaient une forte concentration de juifs, petits commerçants et artisans (cordonniers, tailleurs, …), ayant fui le régime hitlérien et la Pologne envahie.

On a aussi oublié ce 3 septembre 42, où  la Gestapo, s’appuyant sur des listes établies par l’administration communale, aidée par l’AJB (l’Association des Juifs de Belgique), a fouillé le quartier, maison par maison.  Pour  » rafler  » hommes, femmes, enfants et vieillards  et les envoyer en camps de concentration puis d’extermination : un début d’application belge de la  » solution finale « , décidée à la conférence de Wannsee, en janvier 42 et dont seront  victimes  26.000 juifs en Belgique.

 Le  mérite de Richard Kalisz est d’avoir rassemblé patiemment les témoignages de survivants ou de leurs descendants,  dont il a fait une longue enquête radio (dont il existe un CD de 10 heures) et un spectacle de plus de 3 heures comprenant la visite d’une maison  » d’époque  » rue des Tanneurs..

Le genre pratiqué est évidemment du  » théâtre documentaire « , que Richard Kalisz préfère appeler  » théâtre vérité « .  » Le spectacle, dit-il,  montre la difficulté de recueillir ces traces de mémoire. La plupart des rescapés ont bien au-dessus de 80 ans et ont de la peine à témoigner en direct. La directive aux comédiens, c’est de ne pas  » jouer  » un personnage mais d’  » être  » la parole qu’ils rapportent, le plus sobrement possible, pour la transmettre au public. Il y a à la fois des témoignages de rescapés, qui ont échappé à cette rafle et d’enfants cachés qui ont été recueillis par des Belges non-juifs dont certains ont été reconnus par Israël comme des  » justes  » « .

Cette volonté de sobriété, l’absence de  » célébration  » emphatique donne son poids aux mots qui résonnent avec justesse : un minimum de photos, de portraits, une petite vidéo et des chants yiddish ou hébreux pour restituer l’époque et la tradition  » Le yiddish c’est évidemment la langue du peuple assassiné, qui vivait majoritairement dans les pays appartenant à l’Europe de l’Est (Pologne, Russie, Allemagne etc). C’était la langue quotidienne des juifs vivant en Belgique et une langue culturelle avec une littérature et des chants populaires. Quant à l’hébreu, c’est la langue de la Bible (donc la langue  » sacrée « ) que l’Etat d’Israël utilise pour unifier les juifs venant d’Europe (ashkénazes) et d’Afrique du Nord (séfarades). « 

Le spectacle joue donc sur de grands symboles et de petits objets (un jouet, un chapeau, etc.) d’apparence anodine qui nous permettent d’entrer en empathie avec le récitant ou le témoin rescapé.  » Ces petits objets banals sont la trace de la présence du disparu et donc nous mettent  concrètement en contact avec le vécu des témoins. Ils ont une énorme valeur affective et peuvent représenter une douleur que le monde entier peut partager. Ils sont à la fois l’image de la perte et la présence effective de cette perte. Cela me fait penser au grand sculpteur Boltanski, qui procède par accumulation d’objets quotidiens, rendant  présent ce qui est absent « .

Une « intervention scénique  » qui joue sur le temps et l’ espace

L'Eté 42 , rafle dans les Marolles Richard Kalisz

L’Eté 42 , rafle dans les Marolles Richard Kalisz – © ©_Ridha_Ben_Hmouda

Richard Kalisz joue donc sur le temps, sa présence affective et l’espace, les espaces. A commencer par l’Espace Magh, lieu principal de la représentation, jadis occupé par des juifs, devenu  lieu de culture maghrébine.  Un des fondateurs, Sam Touzani,  »  explique au début du spectacle pourquoi il se sent solidaire et rend hommage à une communauté disparue. Pour lui, ce massacre a eu lieu ici, à Bruxelles, mais il est universel. Pour lui c’est donc  un point de référence universel que ce début de pratique de la Shoah à Bruxelles en 1942. « 

L’autre  » lieu  » de la représentation c’est un ilot de maisons de la rue des Tanneurs, où s’agglutinaient dans un espace minuscule des familles nombreuses  juives .Une de ces maisons  appartient  désormais à Yves Hunstad et Eve Bonfanti   »  Il y a des traces, sur une porte, d’un journal en yiddish. Cette maison contient aussi une cache qui a permis à des juifs de trouver un refuge, de 1942 à la fin de la guerre. Celai permet aussi d’évoquer ces fameux  » justes  » qui ont accueilli et protégé des juifs au péril de leur vie. S’ils étaient découverts, ils risquaient en effet d’être déportés comme ces juifs qu’ils cachaient. Donc ces gens risquaient leur vie par solidarité avec des juifs persécutés « 

Conclusion : Tout ça,  » c’est arrivé près de chez vous « , près de chez nous.  En débusquant ce pan de  mémoire enfouie, oubliée, en nous livrant son patient  travail d’archéologue, Richard Kalisz nous propose, sous une forme minimaliste, documentaire,  un témoignage à la fois rigoureux et  émouvant et  un objet de réflexion de politique contemporaine.

 Soit  » La Pologne, hiver 2018 «  avec les récentes déclarations de son Premier Ministre, parlant d’  » auteurs juifs de la Shoah « .  Richard Kalisz :

 » C’est évidemment une politique négationniste par rapport à ce qui c’est passé en Pologne dans les années 40. Les Allemands savaient très bien pourquoi ils mettaient leur camps d’extermination en Pologne, parce qu’il y avait une complicité voir une complaisance de la population locale vis-à-vis du massacre des Juifs. C’est une donnée historique que cet amour/haine des Polonais pour les Juifs et réciproquement Les Polonais veulent simplement effacer de leur mémoire le fait que des Polonais ont facilité plus ou moins activement le travail des nazis allemands. J’avoue ne pas comprendre pourquoi sur ce point, la Pologne n’est pas exclue de l’Europe. Le gouvernement polonais pratique aussi une politique contraire à l’état de droit européen. En Europe, nous sommes dans une époque de transition où tout peut basculer d’un instant à l’autre. « 

Et  » Israël, hiver 2018 « , avec une coalition de la droite et de l’extrême- droite ?

 » Le peuple Juif n’est pas un peuple  » saint « , la Bible n’est quand même qu’une série de récits de guerre entre divers peuples juifs. Pour le moment, une extrême droite religieuse prend en otage le gouvernement. Je ne me sens personnellement pas responsable de la présence de cette extrême droite. Pas plus, j’imagine, que vous ne vous sentez responsable de la présence de la NVA  au gouvernement belge ? « 

Un spectacle de théâtre qui permet, à la sortie, de dialoguer, en toute franchise,  de l’Histoire à  l’actualité est un bon spectacle. Utile.

 » L’Eté 42 , rafle dans les Marolles «  de Richard Kalisz : à l’Espace Magh, rue du Poinçon à 19H, jusqu’au 3 mars,

Info : www.espacemagh.be

 Christian Jade (RTBF.be)

 

 

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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