Théâtre National : Fabrice Murgia, 33 ans, succède à J.L Colinet. « L’artiste au centre »: la logique Milquet exaucée
Le Conseil d’Administration du Théâtre National a tranché, hier : de cinq candidats intéressants ( Fabrice Murgia, acteur, metteur en scène, directeur de la compagnie Artara; Serge Rangoni, directeur du Théâtre de Liège; Isabelle Pousseur, metteuse en scène et directrice du Théâtre Océan Nord; Mathieu Goeury, programmateur au Vooruit/Gent; Alexandre Caputo, conseiller artistique au Théâtre National) il a choisi « l’Artiste », jeune, reconnu internationalement. « L’artiste au centre », un vœu de Joëlle Milquet, exaucé par le C.A. du National en ces termes : »Sa notoriété, son rayonnement international, l’éventail de son expérience et son charisme constituent une valeur ajoutée appréciable pour le Théâtre National « . Le C.A rend aussi un double hommage : aux autres candidats pour la qualité des dossiers présentés et la motivation dont ils ont fait preuve .Et au directeur sortant, Jean-Louis Colinet , qui a remarquablement élargi le public du Théâtre National et y a accueilli de jeunes créateurs.
Nous reviendrons sur le « règne », intuitif, fougueux, décisif de Jean-Louis Colinet à la tête du National, qui se prolonge en Belgique via le Festival de Liège et en Italie à Naples. Et sur le programme, présenté au C.A du National, par Fabrice Murgia, qu’il est un peu tôt d’analyser en détail.
Découvert par Jean -Louis Collinet avec un spectacle « mythique » Le Chagrin des Ogres (2009), nominé d’emblée pour cette première création, comme un des trois meilleurs spectacles 2009 par les Prix de la Critique. Depuis lors Fabrice Murgia a produit un grand nombre de spectacles dont Notre peur de n’être, présenté à Avignon en 2014 et en 2015 à la Biennale Théâtre de Venise. Ghost Road et Children of nowhere ont été exportés à Santiago du Chili.
Sa nomination en 2014 comme » Lion d’Argent » du Festival de Venise a assis sa réputation et n’est sûrement pas étrangère à son actuelle nomination… à la tête du National. Rencontré au Festival de Venise 2015, il nous avait confié, » en exclusivité « , comme on dit dans la presse, et sa reconnaissance pour Venise mais surtout sa candidature à la succession de J.L.Colinet à la tête du National. Moins d’un an plus tard, ses ambitions ont été récompensées. Voici ses motivations principales à la tête du navire amiral du théâtre en Fédération Wallonie Bruxelles, qui n’excluent ni une carrière théâtrale ni une carrière cinématographique.
Sur le Lion d’Argent 2014 :
F.M :Ce Lion d’Argent consacré à l’ »émergence » renforce et stabilise mon projet. Il lui donne une grande visibilité sur le plan international et pour ma compagnie Artara, c’est une « pierre blanche » sur notre parcours, toujours bonne pour le moral ! Ce « label » me place en position de force par rapport aux programmateurs internationaux qui sont nombreux ici ce qui me permet de diffuser mes spectacles dans le monde entier, plus qu’à Avignon, consacré à la sphère francophone.
CJ : Vous allez poser votre candidature à la direction du Théâtre National, suite au départ de Jean-Louis Colinet? Avec tous vos projets, théâtre mais aussi cinéma, croyez-vous que ce soit « sage » de courir, à 32 ans, tant de lièvres à la fois ?
FM : Beaucoup de gens sérieux -surtout à l’étranger -me voient bien mettre le fonctionnement institutionnel d’une aussi grande institution au service de l’artiste. Je me rends compte de la chance que j’ai eue, à 25 ans de disposer d’’un instrument de luxe pour gérer un plateau. Le National de J.L. Colinet a été ma « deuxième école » après le Conservatoire. J’aimerais, en en devenant directeur, transmettre cette chance à d’autres « émergents », pas nécessairement jeunes. Songez au temps qu’il a fallu à Joël Pommerat pour s’imposer dans de grandes institutions. Je suis persuadé que le National a vocation à devenir un centre de création européen, comme le Vidy-Lausanne de feu René Gonzalez, mon modèle à ce niveau. Quant à la contradiction entre diriger une grande institution et continuer à mettre en scène, en France une majorité d’institutions sont gérées par des artistes appuyés par une excellente direction administrative. Tout comme en Allemagne où Thomas Ostermeier a été nommé à la tête de la prestigieuse Schaubühne …à 31 ans.
CJ : Cela fait plusieurs années que vous parlez de passer du théâtre au film. Cette fois vous y êtes ?
–FM : J’y arrive petit à petit. Je travaille depuis 6 mois à un scénario de film… mais qui restera lié au théâtre. Ma prochaine création théâtrale aura lieu au National en janvier 2017. Les méthodes scénaristiques du cinéma ont quelque chose à apporter à mon théâtre. J’aimerais aussi arriver à financer le théâtre avec les moyens du cinéma. Mais le théâtre peut aussi être un « workshop » pour annoncer l’écriture d’un long métrage. Si tout va bien, mon premier film sera le prolongement du spectacle de théâtre de janvier 2017. J’ai mis du cinéma dans le théâtre, pourquoi pas du théâtre dans le cinéma. Mais pas du » théâtre filmé » à l’ancienne. Regardez ce que Jaco Van Dormael a apporté au théâtre avec « Kiss and Cry ». Mais ma grande admiration du moment va à la Grande Bellezza de Paolo Sorrentino.
NB : Notons encore que le frère de Fabrice, David est un splendide acteur de théâtre révélé dans le Chagrin des ogres (2009) de son… frère. David couronné comme » meilleur spectacle » de l’année 2013 pour Discours à la nation d’Ascanio Celistini. Et acteur de cinéma (ayant tourné notamment pour Jaco van Dormael et Bouli Lanners). Quelle famille !
Christian Jade (RTBF.be)
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