Joëlle Milquet: » culture et management doivent faire bon ménage ».
Présente à l’inauguration de Mons 2015, ville européenne de la culture, Joëlle Milquet, nouvelle Ministre de la Culture de la Fédération Wallonie Bruxelles a placé l’événement dans le cadre de sa politique volontariste de réforme où «faire une recette, c’est quand même pas un gros mot ». Interview.
Christian Jade : Madame la Ministre, vous héritez d’une politique de 10 ans de continuité de Madame Lanaan. Quid de l’héritage de Mons 2015 ?
Joëlle Milquet : Cet » héritage » c’est d’abord un » projet « , d’avoir un monde francophone qui montre sa créativité et ses talents. C’est une manière aussi de nous positionner au niveau européen et d’en faire une vitrine de combat pour la défense de l’exception culturelle. L’offre culturelle est en pleine mutation avec le numérique et l’interdisciplinarité et nous vivons une révolution entre la culture du XXè et du XXIè siècle. Mons 2015 sera la vitrine d’un combat politique de démocratisation et d’accès à la culture.
C.J : Lille 2004, modèle de Mons 2014, a généré des profits économiques pour la ville et la région de l’ordre de 1 à 6. Pour Mons l’ambition est de 1 à 4. La relation entre culture et économie vous y croyez ?
JM : Tout ce qui relève de l’intelligence, de la créativité, de l’innovation, c’est l’économie de demain. Cette économie est immatérielle, numérique et DEDANS, il y a la culture. L’élément culturel, c’est l’avenir des économies de demain. Il faut décloisonner le monde de la culture et celui de l’économie intelligente. En France, la part du PIB provenant de l’activité culturelle l’emporte sur celle qui provient de l’économie classique ! Ici ni le secteur économique ni le secteur culturel n’ont intégré cette donnée. Nous devons faire se croiser et dialoguer des mondes qui ont toujours tout fait pour se détester. Décloisonner est un des mes mots-clés.
CJ : Le ministre flamand de la culture vient de diminuer les budgets culturels de 3 à 8 %, 5% en moyenne. Suivrez-vous le même chemin ? Une politique « volontariste » est-elle encore possible dans le contexte économique actuel ?
J.M : Le volontarisme en politique n’a pas de limites si on élimine de l’enveloppe culturelle les gabegies, le saupoudrage, certaines choses inéquitables. Sur notre enveloppe culturelle de 300 millions, les économies ne dépasseront pas 3% .Mais il y a des projets qui ne tiennent pas la route, il faut oser le dire.
CJ : Votre critère pour dire que « ça ne tient pas la route » ?
JM : Moi je viens de l’extérieur, je peux regarder les choses de manière objective et « managériale ».En 50 ans de politique culturelle francophone on a eu la mauvaise habitude de financer avant tout des institutions avec des frais de fonctionnement pléthoriques, plus toujours adaptés aux nouveaux besoins. Il vaut lieux investir dans la création innovante et sa diffusion. Le paysage culturel doit être reciblé, décloisonné, coordonné, diminué pour être plus efficace et correspondre à la culture du XXIè siècle qui est interdisciplinaire, Donc je ne ferai pas des coupes aussi fortes que mon collègue flamand mais je ferai quand même des coupes, à moins de 3% de l’ensemble.
CJ : Allez-vous, comme en Flandre, renforcer quelques grandes institutions pour éliminer de façon presque darwinienne les plus petites ?
J.M : Je ne veux pas éliminer mais regrouper de manière plus rationnelle. Il y a 500 musées en Belgique pour 4 millions d’habitants ! C’est trop. Il faut regrouper plusieurs activités dans un seul lieu pour réduire les coûts de fonctionnement. On peut regrouper les centres culturels de plusieurs communes proches pour concentrer bibliothèque et médiathèque, par exemple.
CJ : Dans le secteur du théâtre vous avez la lourde tâche de rationaliser les contrats-programmes. Votre méthode ?
JM : J’ai déjà reçu la commission d’avis et quelques acteurs culturels. Je ne vais sûrement rien prendre de haut. J’analyserai leurs avis avec sérieux et objectivité. Mais on ne peut pas continuer à faire partout la même chose. Je ne vais pas couper de manière abrupte et aveugle des initiatives et des aventures historiques. Mais je vais suggérer en douceur de fusionner certains projets dans la même enveloppe budgétaire. Dans le secteur théâtral, le but n’est pas de faire des recettes mais l’absence de vision managériale me frappe parfois. Faire une recette, c’est quand même pas un gros mot ! La fréquentation, la billetterie et le public ne sont pas le seul critère mais c’est un critère important. Par ailleurs, on a besoin d’un peu d’avant-gardisme audacieux. Mais il faut fédérer tout ça pour redéfinir les conditions de contrats programmes plus stricts, qui doivent doper la création.
CJ : A Bruxelles, où l’offre théâtrale est très large, vous allez faire des choix douloureux ?
JM : Il faut oser faire des choix en politique et le saupoudrage est une manière de ne jamais faire de choix. Il faut oser dire non à des projets qui ne tiennent plus la route mais …avec douceur, en essayant de fédérer le maintien d’un lieu avec un autre projet.
CJ : Vous allez consulter, suggérer, imposer ?
JM : Je vais d’abord consulter mais je ne vais pas accepter n’importe quoi. Je définirai un cadre. Mais j’ai un vrai problème : convertir le monde théâtral à de vrais projets de management. Continuer à croire que l’on peut faire du culturel sans analyse en termes de management, c’est une erreur. J’aurai mes exigences et je poserai mes conditions et sur la qualité du projet et sur l’aide à la création, et sur l’emploi des jeunes et sur la création belge francophone mais en même temps, il me faudra un « business plan » qui tienne la route et ne repose pas uniquement sur ma subvention.
CJ : Vous allez devoir » faire mal » ?
JM : » Faire mal » , mais faire du bien aussi. Je dois donner à ceux qui ont de l’avenir et qui gèrent bien en même temps. Il y a des choses héritées du passé qui n’ont plus de sens et qui sont mal affectées. Et il y a de jeunes artistes pas soutenus, pas aidés, pas promus à l’étranger.
CJ : Le Ministre Président Rudy Demotte a parlé de supprimer les » aides facultatives » pour boucler son budget en équilibre. En théâtre cela vise l’aide à la jeune création, le CAPT, que Mme Laanan a voulu réduire de 1 million à 500.000euros ?et vous ?
Je crois au contraire qu’il faut doper l’aide à la création en particulier pour les jeunes. Mais je compte par contre réduire l’aide à ce que j’appelle des « petits brols sympathiques », qui appartiennent plutôt au secteur social. Le retrait de ces petites aides ponctuelles me permettra de trouver de l’argent pour ma politique d’excellence culturelle.
Christian Jade (RTBF.be)
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