• Théâtre  • « AMOR ». Entre vie et mort, une illumination dansée. Jaco (Van Dormael) met en scène Michèle Anne (De Mey).

« AMOR ». Entre vie et mort, une illumination dansée. Jaco (Van Dormael) met en scène Michèle Anne (De Mey).

Impressions d’une générale.

Dans « Cold Blood », le deuxième spectacle du duo Jaco / Michèle Anne, interrogation mêlée d’humour sur la vie et la mort, on voyait la danseuse « réelle » couchée et l’image de son corps flottant dans l’espace sur grand écran. Mais la réalité dépasse parfois la fiction ;

Lors d’une tournée de « Cold Blood » dans l’hiver canadien, Michèle Anne, victime d’un refroidissement intense, a fait une curieuse chute à l’aéroport de Toronto, sous les yeux angoissés de Jaco, restant une dizaine de minutes à la frontière entre la vie et la mort. Techniquement, les médecins appellent cet état EIM (Expérience Imminente de la Mort). Michèle Anne De Mey témoigne :

« Il y avait une forte lumière blanche, extrêmement brillante et douce à la fois. L’espace était grand et indéfini… Il faisait agréablement chaud… j’avançais et je flottais doucement… Toutes les personnes que j’aime et qui m’aiment étaient là… même mortes… même pas encore nées… Jaco, mes enfants, des présences intenses… Un puissant amour irradiait de ces personnes… de l’amour incommensurable, de l’amour à l’état pur… C’est l’endroit le plus fort où j’ai jamais été… Cela m’apparaissait beaucoup plus réel que le réel… je n’avais pas envie de revenir. C’était très rassurant et la mort ne me fait plus peur maintenant. Cette lumière, cette beauté, cette chaleur, ce bien-être…c’était comme un shoot d’amour. »

Expérience rare, donc « indicible« , qui se communique difficilement avec des mots. Alors comment traduire avec le corps et le savoir-faire imagé d’un cinéaste / metteur en scène ce qui est à la fois une expérience physique et quasi mystique puisque un instant intense (10 minutes) illumine une passion réelle en lui donnant une aura d’absolu. Comment « retomber sur terre » dans le concret d’un spectacle d’une heure et quart, un solo dansé, projeté dans la nature, la ville et la vie quotidienne ? Sans le côté spectaculaire et narratif des  deux précédents spectacles, « Kiss and Cry » et « Cold Blood », soutenus par la plume de Thomas Gunzig et rythmés par une équipe, visible sur le plateau.

Michèle Anne De Mey : « Ma danse se construira au gré des faiblesses et des forces de la danseuse de 58 ans que je suis aujourd’hui. Elle puisera dans les sensations que j’ai éprouvées et que mon corps a traversées : affaissement lent, fluidité aérienne, basculement, les transformations qu’opère sur nous le temps à l’ouvrage, de la vigueur du corps à son déclin. »

Belle lucidité, émouvante mais comment sortir de l’autobiographie et rejoindre une sorte d’universel ? Ici intervient le savoir faire du compagnon aimé. « Toto le Héros » jouait déjà sur les limites entre imaginaire et réalité, mélangeait le quotidien et le rêve. L’évanouissement intense, vécu, rejoint curieusement ce besoin du couple de projeter la réalité dans l’imaginaire et vice-versa et de transformer l’amour au quotidien en amour mythique. Et la double expérience de « Kiss and Cry » et de « Cold Blood » a développé une technique de cinéma / danse / cirque qui joue sur les limites de tous ces genres. Sur scène Michèle Anne s’appuie sur une chaise, une table, un lit ou un mince « cable » circassien qui la soulève de terre : un « art pauvre » que Jaco ouvre non seulement par des climats réalistes (tourbillons de pluie ou de neige, création d’espaces à profondeurs multiples) mais aussi par des lumières très travaillées de Nicolas Olivier qui parviennent à suggérer l’illumination intérieure vécue.

Partant d’une faiblesse physique qu’elle décrit elle-même, sa danse n’est pas une performance « tape-à-l’œil » mais un bricolage entre ciel et terre, sans scénario préétabli, bercé le plus souvent par des airs d’opéra, comme cet air de « Didon et Enée » de Purcell où Didon, au moment de son suicide trouve la mort « bienvenue » et n’émet qu’un souhait « Souviens-toi de moi ».

Vu à la générale, pas à la première, ce spectacle n’est donc pas soumis à la critique mais à la description des impressions ressenties et des intentions exprimées par  Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael.

« Amor » de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael.

Christian Jade (RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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