• Festivals  • Avignon  • Avignon 2017 : expressionisme allemand (Castorf), mondanités parisiennes (Py), mélodrame vietnamien.(Caroline Nguyen).

Avignon 2017 : expressionisme allemand (Castorf), mondanités parisiennes (Py), mélodrame vietnamien.(Caroline Nguyen).

Deux ‘princes’ Castorf et Py règlent leurs comptes au Festival. Chacun sa manière.  A boire et à manger. Et une aimable princesse, Caroline Guiela Nguyen nous raconte,  empathique, les blessures cachées de la colonisation. Sans appuyer.

Critique :

Les Parisiens (Olivier Py): médiocre Cabale *

Olivier Py, patron du festival, dans ‘Les Parisiens’ adapte son roman à clé éponyme, bavard et superficiel, sur LUI, Ange et Satan et  le personnel politico-artistique parisien. Rien de bien neuf depuis son ‘Orlando’ où il étripait déjà (entre autres) Frédéric Mitterrand, le ministre de la Culture de l’époque, coupable de l’avoir chassé de l’Odéon …tout en le nommant à la tête du Festival d’Avignon. Oh la vilaine punition ! Cette foire aux vanités, obsessionnelle et vulgaire, d’un trash lourdingue,  hurlée par des acteurs pratiquant une éloquence surannée nous a profondément lassés. Py a du talent quand il monte des opéras et des œuvres autres que les siennes. Son autobiographie mondaine,narcissique, complaisante et boursoufflée n’a aucun intérêt. Une comédie de boulevard trash dans laquelle même Laurent Ruquier  s’ennuierait dans  » On n’est pas couché  » pas tant pour la thématique, à la Ruquier, que pour la longueur (4H30).

Frank Castorf : trois cabales pour le prix d’une : de Molière à Boulgakov et…Castorf ***

 

Frank Castorf, directeur de la Volsbühne, un des 3 théâtres de référence de Belin s’est fit remercier après 25 ans de bons et loyaux services. Ce prince de la mise en scène sarcastique, rentre-dedans, à base de vidéo « live », en conçoit une certaine rage mais il s’en sort par le haut. Sa blessure narcissique il la projette sur des cas autrement intéressants que le sien : Molière aux prises avec Louis XIV, qui ne le soutient que mollement dans la « cabale des dévots » contre son ‘Tartuffe’. Et Boulgakov qui utilise le cas de Molière pour parler, en sous-main, de ses démêlés avec Staline dans ‘Le Roman de M. de Molière’. A ces deux tables gigognes Castorf en ajoute une troisième, le scénario d’un film de Fassbinder (Prenez garde à la sainte putain) et des dialogues de Molière et du Phèdre de Racine, essentiellement la séduction incestueuse d’Hippolyte par Phèdre. Le tout faufilé ‘à la cosaque’ par des acteurs ajoutant leur inventivité de plateau. Le thème politique, traité avec cruauté se double d’une analyse sans complaisance de la sexualité de Molière coincé entre Madeleine Béjart-étonnante Jeanne Balibar, parfaite bilingue franco-allemande- et sa fille Armande, (inceste ou pas ?). Fassbinder ajoute le thème homosexuel. Le rapport de Boulgakov à Staline est à peine effleuré avec par ci par là un petit sanglot sur le sort de Castorf. Presque humoristique ! Les qualités : un théâtre épique où on nous ballade comme dans un cirque entre divers lieux fermés  » royaux  » qui bougent sous l’œil d’une caméra omniprésente. Dynamisme assuré. Les défauts : cabotinage ? Oui mais avec la dérision féroce d’un post-expressionniste allemand : on râle avec panache. Et les acteurs sont tous  » géniaux « , puissants, drôles, comme de beaux délires. Quant aux rapports sexuels compliqués ils sont traités avec une relative élégance. C’est au total une brillante démonstration d’acteurs, parfois trop longue (surtout la 1ère partie) :5H15 au total +entracte. Mais même largué, le public refait surface par la force du fleuve dramatique qui nous emporte. Du déchet comme dans toute esthétique baroque mais des fulgurances qui valent la peine d’être vécues.

Saigon de Caroline Guiela Nguyen: un mélo vériste d’une justesse séduisante****

– © Christophe Raynaud de Lage

« Je suis fille de Viet kieu (entendez de Vietnamien « étranger ») affirme Caroline Guiela Nguyen … la colonisation nous préoccupe…mais je ne veux pas de discours sur les gens mais le gens eux-mêmes, leurs visages, leurs paysages, leurs corps, leurs langues. »

A partir de ce postulat, Caroline a construit méthodiquement une fiction qui rend compte de vérités intimement vécues. Sociologue de formation, elle a observé le milieu, 2 ans, dans le 13è arrondissement de Paris et à Ho-chi-Min ville où règne le fantôme du Saigon de l’époque coloniale française. Elle a recruté des acteurs vietnamiens, professionnels et amateurs, construit un projet pilote, amendé par le vécu des acteurs. Et découpé sa matière en chapitres qui font des allers-retours entre le Saïgon de 1956 (débandade française après la chute de Dien Bien Phu et fuite des Français et de certains de leurs « collaborateurs ») et le Paris/Ho-Chi-Minh de 1996 où le gouvernement vietnamien permet pour la première fois aux Vietnamiens exilés de retourner au pays.

Cette fresque empathique de 40 ans permet d’entrer dans les douleurs enfouies de plusieurs petits et grands drames personnels : amours perdues, fausses promesses à la Butterfly, complexe de parler le vietnamien en France, mélange approximatif de Français et de Vietnamien avec les contradictions multiples, les petits paradoxes. Et traces de colonialisme même dans les plus belles histoires d’amour franco-vietnamiennes. Mais la grande trouvaille, comme un axe d’empathie c’est le personnage de Marie-Antoinette qui de sa cuisine, le même lieu à Saigon et Paris, fait rayonner sa bonté et sa verve. La scéno hyper réaliste d’Alice Duchange place  une salle de restaurant typique au centre de tous les échanges, confidences, rages parfois. Avec la touche musicale mélancolique d’un karaoké où Sylvie Vartan et Christophe remplacent un éventuel …Puccini. Aucune emphase ici mais une honnêteté dans la démarche et une réussite dans l’exécution qui forcent le respect. La compagnie de Caroline Guiela Nguyen s’appelle « Les Hommes approximatifs« . Sa mise en scène est tout sauf approximative : précise, chaleureuse, intelligente, sans leçon. Nous laissant libres de sourire ou de pleurer.

-‘Les Parisiens’ (Olivier Py) jusqu’au 15 juillet. (Repris au Théâtre de Liège début septembre)

‘Le Roman de M. de Molière’ de Boulgakov, m.e.s par Franck Castorf, jusqu’au 13 juillet.

-‘Saigon’ de Caroline Guiela Nguyen jusqu’au 14 juillet.

Christian Jade (RTBF.be)

 

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

POST A COMMENT