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Avignon 2018. Olivier Py l’agitateur. Une exploration du « genre », un des fils rouges du festival. Entre document et art.

Le directeur du Festival d’Avignon, Olivier Py est un homme de convictions et il les défend publiquement. Il « s’engage » quand ses lignes rouges sont franchies : désuet, l’engagement ? Respectable pour moi. Il a osé dire en 2014 que si la mairie d’Avignon était conquise par le FN il déplacerait le festival ailleurs ! Excessif ? « Don Quichottesque » ? Le FN n’est toujours pas dans la majorité à Avignon. Le Festival serait toujours là, avec le FN au pouvoir ? Mais Olivier Py aurait démissionné.

Sur le plan social, il produit des spectacles dans les prisons, étend sa programmation aux enfants et offre chaque année sur l’heure de midi un « feuilleton » gratuit aux Ateliers Ceccano. On y a vu successivement « La République » de Platon théâtralisée par Alain Badiou, la longue histoire du festival exposée au public, Christine Taubira expliquant ses valeurs.

Le « genre » comme document et éclairage didactique.

Cette année le feuilleton de midi, confié à David Bobée porte sur le « genre », un thème essentiel pour cet homosexuel militant. Il s’agit de braver une certaine opinion publique frileuse en France à l’idée d’en parler en classe pour ne pas donner de mauvaises idées aux chères têtes blondes et brunes. A midi aux Ateliers Ceccano, on  parle donc de toutes les catégories LGBT marginales (lesbiennes, gays, bis, transgenres), mais aussi des rapports hommes-femmes en général, le harcèlement bref l’actualité, traitée de manière détendue pour éveiller le débat en douceur. Une grande école de midi, gratuite de surcoît.

« Mesdames, Messieurs et le reste du Monde » de David Bobée, jusqu’au 21 juillet

« Trans » de Didier Ruiz. La douleur d’être né dans le mauvais corps.

– © Christophe Raynaud de Lage

Ce n’est trois fois rien, en apparence, ces témoignages de quatre hommes, nés femmes et ces trois femmes, nées hommes dans leur tête, alors que leur corps dément cette identité intime et paradoxale. Trois fois rien ? A part que ce petit « couac » de la nature est un tissu de souffrances intimes. Dès l’enfance avec les parents, les frères et sœurs, les profs puis  l’épreuve de la rue : insultes, moqueries, agressions. Adulte, que faire ? Continuer à dissimuler ou affronter les épreuves chirurgicales et hormonales pour rendre le corps et l’esprit en adéquation ? Et ces métamorphoses comment sont-elles acceptées par la famille, le (la) partenaire qui vous aime pour votre apparence précédente, les enfants qui découvrent un papa en jupons ? Enfin que faire avec les collègues rigolards et les patrons qui vous licencient pour maintenir l’ordre des apparences ? Didier Ruiz réunit 7 protagonistes catalans en un défilé délicat où hommes et femmes, ancien(ne)s et nou/veaux/velles y vont de leur petite anecdote, courte et rythmée, qui apporte une petite pierre à la compréhension de ces douleurs intimes, ce vécu social agressif. Aucun pathos et beaucoup d’optimisme raisonné dans ce spectacle résolument documentaire, élégant, humoristique, tendre, au fond. On ne vous prend pas par les sentiments mais par l’intelligence. Salutaire donc ce « Trans » à l’esthétique minimaliste et au contenu fort.

« Trans », Didier Ruiz, jusqu’au 16 juillet

« …pour l’amour du prophète » Gurshad Shaheman. La sexualité des immigrés de Calais.

Gurshad Shaheman

Gurshad Shaheman – © Christophe Raynaud de Lage

C’est un « concert documentaire » affirme son auteur, le Français d’origine iranienne, Gurshad Shaheman pour décrire son témoignage très esthétique sur les immigrés de Calais avec un seul angle, la communauté LGTB. Ici, dit Shaheman,  « la théâtralité est d’abord dans la musique de Lucien Gaudion« .

Ils sont 4 « vrais » exilés et 14 élèves d’une école de théâtre, quasi immobiles dans la pénombre et qui portent la parole et les confidences de 35 exilés originaires pour la plupart du Moyen Orient et du Maghreb. Répartis sur scène de manière quasi chorégraphique, ils forment un beau groupe, très élégant, émergeant de la pénombre pour porter témoignage. Ils se lèvent parfois, hommes et femmes, jeunes et vieux, se coupant la parole comme si la musique de leur voix était plus importante que le contenu. Ce qu’ils disent : plus que leurs malheurs et leurs souffrances, ce sont les joies paradoxales vécues par exemple par un jeune gay protégé par un commandant kurde qui le prend comme compagnon…mais le respecte. Comme si le sélectionneur de témoignages voulait minimiser dans ces  étranges migrations, la contrainte sexuelle par la force pratiquée par  de nombreux passeurs.  Shaheman  » romantise  » joliment tout ça pour garder une matière de « Contes de 1001 nuits » toujours recommencés. De ces fragments se dégage donc un optimisme à contre-courant avoué du discours des médias. C’est une vision respectable et un spectacle esthétiquement plus abouti que « Trans », avec un vrai parti-pris artistique intéressant. J’en suis sorti séduit  par la forme et sceptique sur le fond. Des témoignages sûrement vrais mais filtrés pour une construction romancée de la réalité.

« Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète » de Gurshad Shaheman. Jusqu’au 16 juillet.

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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