• Théâtre  • Culture et politique: à Belgrade, un festival (musclé) de théâtre international (BITEF) embarque l’Europe et le monde.

Culture et politique: à Belgrade, un festival (musclé) de théâtre international (BITEF) embarque l’Europe et le monde.

Tito, c’est de la préhistoire pour les jeunes ? Pas pour le directeur artistique du Bitef, Ivan Medenica qui considère qu’il faut revenir à cette source d’inspiration pour réfléchir le présent. En 1967, date de la création du festival international de théâtre de Belgrade (BITEF) Tito, le « non-aligné » était un interlocuteur important entre les deux blocs européens et dialoguait avec le Tiers Monde, de l’Afrique à l’Asie. Le festival était un signe d’ouverture et de dialogue. 50 ans plus tard, la Yougoslavie a disparu et le festival s’est maintenu de justesse pendant la guerre civile de 1991-1995. Vingt ans plus tard la Serbie est toujours  mal placée pour entrer dans l’Union européenne.  » Nous sommes, dit Ivan Medenica, la dernière étape pour des réfugiés qui rêvent d’Europe. Nous sommes de nouveau une frontière, cette fois entre le Nord riche et arrogant et le Sud pauvre et humilié ».

La 50è édition du festival se veut le reflet de cette complexité polémique  avec une triple ouverture sur l’Europe, l’Afrique et l’Asie.

 » Sous Tito, poursuit le directeur artistique, la Yougoslavie avait de très bonnes relations avec l’Afrique et l’Asie. Mais le reflet artistique était la plupart du temps traditionnel et folklorique. D’Asie, j’ai fait venir des spectacles de danse qui mêlent la tradition et l’art contemporain. L’Afrique est évoquée  de plusieurs façons: le grand écrivain nigérian Femi Osofisan fait partie de notre jury et est honoré par le Prix Thalia, attribué par l’AICT, (Association internationale des critiques de théâtre), invitée de ce festival. Et notre programmation accueille trois spectacles produits en Allemagne qui abordent de façon polémique la manière dont l’Europe se comporte en Afrique et dans le monde. »

Des œuvres  fortes, tranchantes.

– © Georg Hochmuth

Une petite semaine passée ici nous a permis de vérifier le caractère engagé et volontairement provocant de ce festival  » musclé « .Le spectacle croate qui clôturera le festival,  » Sur la tombe d’une Europe ignorante  » donne le « la » de l’ensemble. De ce que nous avons pu voir deux spectacles émergent :  » The ridiculous darkness » du jeune Allemand  Wolfram Lotz, produit par le Burgtheater de Vienne. Un parcours cynique sur toutes les erreurs européennes et américaines du Congo à l’Afghanistan. Avec des allusions au  » Cœur des ténèbres  » de Joseph Conrad, ou à  » Apocalypse now  » de Coppola, qui nous plongent  dans le chaudron congolais et le bourbier vietnamien. Et notre actualité. Avec quatre actrices autrichiennes d’une justesse inouïe, métamorphosées en  » guerriers « , blancs ou noirs Et une scénographie  » apocalyptique « , reflet de cette violence destructrice qui nous entoure.

A importer d’urgence au KFDA ou dans un de nos grands théâtres  intéressés par l’international.

Remarquable aussi,  à voir à Liège au  printemps 2017 : le nouveau  spectacle de Milo Rau (créé à la Schaubühne de Berlin) « Compassion, histoire de la mitraillette ».On y voit une femme blanche, l’époustouflante actrice suisse Ursina Lardi témoigner d’un certain cynisme  » européen  » face à ce champ de ruines africain. Alors que dans  » Radio 1000 collines  » Milo Rau stigmatisait les âmes damnées du génocide des Tutsis, ici il  analyse, froidement, la vengeance des Tutsis au Congo et le comportement cynique des ONG. Avec une petite survivante hutu burundaise, la jeune actrice belge Consolate Sipérius qui, en racontant brièvement son histoire, donne  une note de fraîcheur et d’espoir dans ce sombre drame. Et qui confirme son talent reconnu par la critique, dès 2013, de  » jeune espoir  » du théâtre belge. Son témoignage sera notre conclusion.

Consolate Sipériu, interviewée sur son travail avec Milo Rau dans  » Compassion « 

Consolate Sipériu dans

Consolate Sipériu dans – © Daniel Seiffert

 » Je suis une personne positive dans la vie. Du coup, je trouvais intéressant que Milo Rau me fasse aborder sur scène un sujet lourd comme le génocide avec une grande prise de recul. Le fait d’être rayonnante malgré le propos tragique de mon personnage m’a plu et j’ai trouvé cela facile à jouer. C’était proche de moi et cela me permettait de m’évader. Pour Milo Rau, il faut offrir au spectateur une manière « cynique » d’approcher le sujet car le cynisme donne une ouverture et met actrices et spectateurs en position « borderline ». Pour Milo Rau le fait que deux femmes racontent deux histoires différentes (situées entre fiction et réalité pour l’une) vient nuancer chaque monologue. La fin où je fais surgir des rires d’enfants c’est une ouverture sur la vie qui vient casser l’esprit de vengeance qui pourrait naître.  » Par chance « ,si je peux dire,  j’ai vécu d’une certaine manière le génocide et l’adoption par des parents belges Cela venait nourrir mon interprétation. Je trouve que ce sujet arrive de manière intelligente sur scène et dans le respect le plus total vis-à-vis des victimes. « 

« Compassion, histoire de la mitraillette » de Milo Rau au Théâtre de Liège les 30 et 31 mars 2017.

Rappelons que Milo Rau est  » Prix spécial du jury « 2016  des Prix de la Critique (belge)  pour « 5 Easy pieces », consacré à l’affaire Dutroux.

Christian Jade (RTBF.be)

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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