• Théâtre  • « (Not) my paradise », de Sachli Gholamalizad. Racines douloureuses. ***

« (Not) my paradise », de Sachli Gholamalizad. Racines douloureuses. ***

Le KFDA nous a appris à  rechercher un théâtre ouvert vers d’autres arts, cinéma, arts plastiques, musique. Et à intégrer un théâtre documentaire à haute valeur ajoutée : les Suisses de Rimini Protokol ou Milo Rau (Five easy pieces), les Anversois du groupe « Berlin » (Tchernobyl so far so close) en sont les maîtres.

La jeune Flamande d’origine iranienne, Sachli Gholamalizad, se rapprocherait plutôt de l’esthétique  » Berlin « , qui joue carrément la carte du documentaire théâtralisé.  » (Not) my paradise « c’est  d’abord un film, mais imbibé de théâtre. Par la projection sur 3 écrans, aux « vues » différentes (gros plans humains, ressac de la mer, loge de théâtre).Et par la présence réelle de la cinéaste/actrice, d’abord discrète, puis occupant une petite loge de théâtre, enfin prenant la parole, chantant, dansant.

Dans « (Not)  my paradise » Sachli Gholamalizad raconte son histoire, remonte aux sources de son malheur (bonheur? Tout est relatif). Née en 1982, dans la petite ville portuaire d’Anzali, sur la mer Caspienne, elle vit depuis l’âge de 5 ans en Flandre avec sa mère et n’est retournée en Iran qu’à l’âge de 20 ans.

Dans une première œuvre (A reason to talk), qui a remporté un beau succès (en Flandre et au « Fringe » Festival d’Edinbourg 2015), elle racontait sa relation compliquée avec sa mère. La version française sera visible ce printemps au Théâtre National.

 » (Not)  my paradise «  explore deux générations, ses oncles, sa tante  et ses grands parents maternels. Le décor est une maison en ruines, battue par la mer Caspienne : la maison de son grand-père, ancien tenancier d’un dancing louche, menant grande vie, ruinant sa famille et mort en lassant un testament empoisonné : il a vaguement écrit qu’il fallait partager ses terres de manière égale, entre tous ses enfants en contradiction avec la loi coranique qui ne donne aux femmes qu’une demi-part. Les deux oncles, restés sur place alors que leur sœur a fui l’Iran,  se détestent et se défendent d’avoir volé l’héritage avec une roublardise souvent écœurante. En même temps ils justifient leur  » larcin  » par le fait que, là où ils sont, ils ont à peine de quoi vivre contrairement aux exilés iraniens d’Occident. Un peu trop longue et répétitive, cette première partie, mon seul bémol.

Inoubliables portraits de femmes iraniennes.

Mais le docu-théâtre devient surtout émouvant par deux portraits de femmes, la tante et la grand-mère de Sachli qui montrent, l’une sa faculté d’adaptation dans un régime répressif.  Et l’autre la dignité d’une vieille femme qui raconte, sans haine ni ressentiment, sa relation inégale avec son mari. On voit défiler les mœurs archaïques d’un temps révolu, où il était normal d’être mariée de force à 13 ans et de subir la présence de vieilles voyeuses vérifiant la qualité de la virginité ! Fini tout ça : un message optimiste au milieu de beaucoup d’archaïsmes, évoqués avec délicatesse. Avec une fin, théâtre,  comme un happy end  dansé par Sachli et sa mère. Vraisemblable ?

Au total,  j’aime cette ambition de raconter par des moyens modernes une histoire de famille rongée de l’intérieur, centrée sur la cupidité, qui se passe en Iran. Mais les personnages, deux vieux oncles bornés, une tante qui s’adapte  à l’air du temps et la noble grand-mère pourraient exister dans le Bordelais de Mauriac, au fin fond du Limbourg actuel ou en bord de Meuse ruinée. La jeune cinéaste, également actrice de séries TV, insinue dans  les scènes réalistes, attentives à l’expressivité des visages, un conte symbolique : la mer guette la terre et rend dérisoire l’attachement de ces vieux oncles paumés à leur futile « héritage ». Le chant final nous rend attentifs aussi à la beauté de cette langue iranienne mélodieuse, que de grands cinéastes comme Kiarostami ont infiltrée dans nos oreilles. Avec, dans l’analyse du conflit familial, cet art de creuser jusqu’à l’os la mauvaise foi, qu’on retrouve dans « La séparation » d’Asghar Farhadi.

« (Not) my paradise » de Sachli Gholamalizad. Au KVS jusqu’au samedi 24 septembre,20H30

En iranien(farsi), sous-titré en anglais, surtitré en néerlandais et français. Puis parlé en néerlandais.(surtitré)

-Puis à Anvers, Amsterdam, Bruges, Louvain et Malines. 

-Au Théâtre National, A reason to talk, de Sachli Gholamalizad, version française, du 7 au 11 mars.(Toernee General).

Christian Jade (RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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