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Festival d’Aix en Provence 2016: Cosi fan tutte de Mozart, en Afrique coloniale mussolinienne. Ça coince énormément !

Pour ceux qui  sont férus d’opéras captés en direct sur Arte, ne ratez pas ce 8 juillet à 22H50 un Cosi qui m’a séduit par l’impeccable direction musicale de Louis Langrée, l’ancien directeur de l’OPL et la qualité de l’orchestre et des interprètes. Je suis plus que réticent par contre pour la transposition dans l’Erythrée mussolinienne, due au cinéaste Christophe Honoré. Mais qui sait, les miracles du petit écran transformeront peut-être en joli exotisme ce morceau d’anticolonialisme maladroit.

Peu avant la 3è représentation, Louis Langrée m’avait accordé une brève interview d’un quart d’heure. Pour « parler Mozart » puisque le chef français est directeur musical du festival Mostly Mozart au Lincoln Center de New York et de la Camerata Salzburg. Sur la comparaison entre les trois livrets de Da Ponte, Don Giovanni, les Noces de Figaro et Cosi fan tutte, Louis Langrée est intarissable, passionné, éloquent. Des trois partitions Don Giovanni l’intéresse par son « dramatisme intense », Les Noces par  » sa construction parfaite « . Et Cosi par la  » fragilité humaine «  qui s’en dégage mais aussi  par la difficulté de la partition « qui exige des chanteurs de petits miracles dans la conduite de leurs voix, notamment le rôle périlleux de Fiodilidgi. De nombreuses répétitions entre les chanteurs et les solistes qui les accompagnent sont nécessaires pour arriver à l’équilibre. Et puis il faut donner un phrasé clair et arriver à des couleurs subtiles pour traduire ces colères et ces élans de l’âme. Pour moi il n’est pas vrai que le chef s’occupe de l’oreille et le metteur en scène de la vue. Il doit y avoir complicité entre les deux « 

Alors question : y êtes-vous arrivé à la complicité avec Christophe Honoré ?  » C’est un cinéaste qui pense d’abord au réalisme de l’image. Je ne crois pas que Cosi, qui fonctionne sur la subtilité des sentiments, gagne beaucoup à une vision politique, que ce soit Mussolini ou Ceaucescu. Mais je n’ai pas à juger le résultat, c’est à vous de voir « .

Eh bien, c’est tout vu. Ca sonne faux, cette mise en scène. La trouvaille,  » l’idée  » d’Honoré est de transformer les amoureux Ferrando et Guglielmo, déguisés originellement en princes albanais, donc turcs, la mode à l’époque, en tirailleurs érythréens, enrôlés de force par Mussolini. Les amoureuses Fiordiligi et Dorabella sont des femmes de colon censées tomber amoureuses de ploucs noirs de l’armée. Quant elles parlent de  » princes « , riches et beaux capables de les séduire, aucune vraisemblance. Pire, leurs amoureux maltraitent et violent à de nombreuses reprises une malheureuse jeune noire apeurée passant même leur rage d’être trompés…par des blanches sur cette victime expiatoire, symbole de la traîtrise féminine ! Grotesque et gênant : cette mise en scène qui se veut anticolonialiste et antiraciste favorise tous les poncifs. Une seule réussite, à la fin du 1er acte : l’ensemble caricatural du  » docteur  » incarné par une remarquable femme-clown, Sandrine Piau dans le rôle de Despina.

Reste un bonheur : la musique de Mozart résiste à tous les metteurs en scène. Le rapport entre le Freiburger Barockorchester et ses solistes subtils et les chanteurs est harmonisé avec force et élégance par un Louis Langrée… heureux. La Fiordiligi de la soprano hollandaise Lenneke Ruiten se joue avec grâce de toutes les difficultés du registre vocal alors que la Dorabella de la mezzo Kate Lindsey pétille de bonne humeur cynique. Le complicité des deux fait plaisir alors que leurs compagnons, le Ferrando du ténor Joel Prieto et surtout le Guglielmo de la basse Nahuel di Pierro font mieux que se défendre. Le décor de garnison coloniale (d’Alban Ho Van) est sinistre à souhait. Les figurants noirs font très  » tableau d’une exposition…coloniale’ italienne, belge, française ou anglaise : encore un contresens de la mise en scène. En matière de colonialisme, Mussolini n’était pas pire que les vertueuses démocraties. Feu Gérard Mortier, fou de Mozart , aurait pu dire à Christophe Honoré, de sa petite voix suave : « La prochaine fois, je veux bien vous prêter un dramaturge « 

Cosi fan tutte DE Mozart, m.e.s Christophe Honoré.

 Au Festival d’Aix jusqu’au 19 juillet.

A l’Opéra de Lille la saison 2016/17

Sur Arte le 8 juillet à 22H50

Christian  Jade (RTBF.be)

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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