• Théâtre  •  » Five easy pieces « . Comment faire jouer des enfants ? Milo Rau et Peter Seynaeve s’expliquent.

 » Five easy pieces « . Comment faire jouer des enfants ? Milo Rau et Peter Seynaeve s’expliquent.

Le 3 octobre le jury des Prix de la Critique décernait un  » prix spécial « à  Milo Rau, metteur en scène suisse vivant à Cologne. « Five easy pieces« , centré sur l’affaire Dutroux mettait en scène une incroyable troupe d’enfants choisis par le metteur en scène lors d’un casting organisé par le Centre culturel gantois Campo.

Créé à Bruxelles, le spectacle est repris à Campo Gent jusqu’à ce soir le 15 octobre mais  » overbooké ». Par contre il se joue aussi à Alost et à Valenciennes aux dates ci-dessous

-Gand : 15 octobre http://www.campo.nu/nl/production/1836/five-easy-pieces

-Alost : 19 octobre http://www.ccdewerf.be/

-Valenciennes : 24 novembre  http://www.lephenix.fr/

Nous reviendrons prochainement sur Campo, ce centre culturel flamand peu connu en francophonie, dirigé par Krystof Blom, et qui ne se limite pas à des castings  d’enfants !

Nous avons profité du passage de Milo Rau à Gand pour l’interviewer sur sa manière de travailler avec de jeunes enfants.

Milo Rau : un  » casting-maniaque « .

Milo Rau

Milo Rau – © PMI

 » Pour Five Esay Pieces, j’ai rencontré une centaine d’enfants avant d’en retenir 7. J’ai ensuite apporté une attention particulière sur une dimension professionnelle possible de leurs jeux. Cela ne pouvait se faire sans un travail conséquent au niveau de  » l’écoute « . J’ai trouvé cela très intéressant car habituellement je n’ai pas besoin d’effectuer ce travail avec mes comédiens. Mais ce n’était pas évident. C’est pourquoi j’ai décidé de partager cette difficulté aux spectateurs durant le spectacle. Tout au long du processus de travail, j’ai joué un rôle semblable à celui d’un professeur de sport en demandant aux enfants de se donner à 100% sur scène. Je leur ai fait comprendre que les règles ne sont pas les mêmes au théâtre que dans la vie. La distanciation est primordiale. Je pense qu’on la ressent également assez bien dans le spectacle. Elle n’est pas là que pour des raisons pédagogiques avec les enfants. Elle fait partie pour moi du fonctionnement même de la pédophilie. Il y a un jeu de fiction mortel pour l’enfant avec lequel joue le pédophile. J’ai beaucoup travaillé sur la question du regard, du tragique et de l’allégorie de la vie. C’est quand on est au plus bas que l’on peut voir les nuages pour la première fois. Il ne s’agit pas d’une résurrection mais d’un  » après la mort  » nourri d’un espoir étrange. »

 

Peter Seynaeve : entre coach et « ombre de Dutroux ». Un rôle borderline ?

Peter Seynaeve

Peter Seynaeve – © Campo/Abke Haring

 

Peter est le seul acteur professionnel de la distribution, à la fois coach des enfants et ombre du manipulateur Dutroux.  Son témoignage.

 » Dans Five Easy Pieces, je joue le rôle d’un metteur en scène vis-à-vis des enfants qui sont sur scène. Un metteur en scène est toujours un peu un manipulateur. Marc Dutroux en était un. C’est cela qui intéressait Milo Rau et qu’il souhaitait montrer aux spectateurs. Un jeu de pouvoir se joue toujours entre le metteur en scène et les comédiens, et surtout avec des comédiens enfants. Je crois que nous serions dans le faux si nous avions travaillé avec les enfants sans nous remettre nous-mêmes en question par rapport au pouvoir que nous exercions sur eux en tant que metteurs en scène. La réflexion doit se faire à un double niveau. Qu’est-ce que c’est de travailler avec des enfants pour créer un spectacle pour adultes ? Il ne s’agit pas que de l’affaire Dutroux, mais d’une réflexion bien plus vaste. C’est quoi le théâtre ? C’est quoi le pouvoir ? Être jeune ? Avoir un rêve ? Avoir le fantasme de connaitre comment nous allons mourir ? Les enfants se sont engagés dans cette réflexion avec nous.

Lors de notre rencontre, la plupart des enfants ne savaient pas qui était Marc Dutroux. Nous avons discuté, lu des articles et regardé des documentaires ensemble, et avec les parents des enfants. Nous avons aussi annoncé que nous ne parlerions pas que de cela. Nous voulions que chacun d’entre nous puisse savoir clairement de quoi nous allions parler. Nous avions également un psychologue qui nous suivait à chaque rencontre. J’étais la main droite de Milo Rau car il ne parlait pas flamand et j’avais déjà travaillé avec des enfants auparavant. Il n’était pas tout de suite prévu que je jouerais dans le spectacle. Un jour Milo Rau a souhaité que j’en fasse partie afin que notre travail ne soit pas qu’une anecdote. Il devait être montré au grand jour. Ce n’est pas facile pour moi ni pour eux. Je joue un double jeu sur scène : je suis réellement le coach des enfants durant le spectacle. Les commentaires techniques que je fais durant les séquences mises en scène par les enfants sont formulés dans mon rôle de coach. Je les aide pour un éventuel oubli dans leurs textes par exemple. Nous avons réussi à atteindre une sorte d’équilibre dans la confiance et l’amitié. Ils ne sont jamais seuls sur scène. Parfois, certaines choses ne vont pas comme prévu, mais ils ont l’assurance d’être soutenus et guidés.

L’audience adulte sait probablement qu’elle a affaire à un homme semblable à celui de Dutroux en me voyant sur scène. Néanmoins, pour les enfants, c’est tout autre chose. A aucun moment je ne suis méchant avec eux. Les enfants sont au courant de cette dissociation de sens. Mais entre nous, nous ne pensons pas à cela. Jouer le pédophile ne sert à rien puisqu’un homme comme tel essaye d’agir comme un  » gentil papa « . Il se montre rarement sous son vrai jour. En tant que comédien, j’ai donc dû me concentrer là-dessus.

Nous avons travaillé ensemble pendant 6 mois sur ce spectacle, et seulement les week-ends avec les enfants. La première s’est déroulée à Bruxelles. Nous avons alors ressenti une émotion forte dans la salle. Par après, quand nous sommes allés en Hollande, en Allemagne et à Singapour, j’ai ressenti la même chose, que les personnes connaissent Marc Dutroux ou pas. Pour nous c’est un nom, pour beaucoup d’autres personnes ça fait référence à bien d’autres histoires. « 

Christian Jade (RTBF.be)

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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