« If only » de Thomas Hauert. Austère portrait d’une époque flottante.
Thomas Hauert, chorégraphe suisse installé en Belgique depuis un quart de siècle a créé sa compagnie ZOO en 1998 avec une prédilection pour les rythmes enlevés, les couleurs chatoyantes et un certain élan vital. Mais il nous avertit d’entrée de jeu : ses « aficionados » risquent d’être désorientés par sa création 2020, « If only ». Le monde a changé, lui aussi. Un climat délétère règne et « If only » épouse les formes de cet univers désenchanté.
C’était avant la crise du coronavirus mais déjà pesaient les menaces sur la planète et son dérangement climatique, dans un environnement dominé par le doute, l’hésitation, la vulnérabilité. L’énergie débordante de la troupe ZOO a disparu au profit d’un « lâcher-prise ». « Les corps ralentissent, deviennent lâches, hésitants, libérés de leur injonction à l’efficacité, trouvent de nouvelles échelles de virtuosité et développent une slow danse ». La musique, appui fondamental est à l’image du nouveau projet. Les « Thirteen harmonies » de John Cage, hantées de silences mystérieux… évoquent l’hésitation, le doute, la vulnérabilité, le regret.
Finalement, la belle scénographie de Chevalier-Masson est la plus convaincante de l’ensemble. C’est la structure vivante, mouvante de cette chorégraphie du ralenti. Devant nous, des fils jaunes d’abord informes deviennent peu à peu des formes géométriques allongées qui dessinent dans l’espace, une toile d’araignée pleine de vides, comme la musique de Cage.
Les danseurs/euses construisent cette scéno en poussant deux speakers mobiles qui relient et donnent une structure visible à ces fils savamment épars. Les interprètes, noyés dans leur solitude spatiale, furtivement et brièvement regroupés, meuvent lentement un bras, une jambe, se couchent, s’assoient, regardent le public dans un vide existentiel qui interpelle, pousse à la réflexion mais ne tient pas la route.
Cet adagio infini, sans l’ombre d’un menuet de joie ou d’espoir m’a intéressé trois quarts d’heure et profondément ennuyé la dernière demi-heure, interminable. Une fois la démonstration faite du repli sur soi des humains pour cause d’horizon bouché la proposition s’étouffe d’elle-même. J’avais l’impression d’assister à la construction d’une toile de Luc Tuymans, grise, volontairement délavée. Mais ça me prend au choix 5 minutes ou une heure d’en faire le tour à mon rythme, si elle m’intéresse.
Être emprisonné dans un spectacle d’art vivant où tout est répétition lente d’un spleen implacable vous donne le bourdon. C’est peut-être le but du jeu : dans ce cas l’objectif est atteint. Un artiste est libre de jouer avec ses limites… et les nôtres pour retrouver une inspiration hors de sa /notre routine. « If only », c’est le doute méthodique à la Descartes appliqué à la danse contemporaine.
Intéressant mais éprouvant voire, ennuyeux, ce qui est pire.
If only de Thomas Hauert au Théâtre Les Tanneurs jusqu’au 13 mars
et à Charleroi, aux Écuries, le 24 avril
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