‘Miranda’, à l’Opéra Comique : une parole féministe (Katie Mitchell) interrogea ‘La Tempête’ de Shakespeare. Dans l’émotion de Purcell.
La Britannique Katie Mitchell remodèle le répertoire théâtral et ‘opératique’ depuis plusieurs années avec une intelligence pointue, une conviction féministe bien ancrée et des moyens modernes de toucher le public en profondeur. Découverte, en milieu francophone, au Festival d’Avignon en 2011, elle présentait ‘Mlle Julie’ de Strindberg sous l’angle de la servante flouée et par son amant et par sa maîtresse. Cette année, dans ‘Les Bonnes’ de Genet, à Avignon, elle refusait de voir l’exploiteuse des bonnes comme une ‘femme’ mais comme un ‘travesti’, un ‘homme’ donc, même efféminé. Militante, en somme. Au Festival d’Aix-en-Provence, elle a créé un inoubliable ‘Written on skin’ (2012) de George Benjamin et un magistral Pelleas et Mélisande (2016) où Mélisande, centrale, mène le jeu sexuel entre Golaud et Pelleas au lieu de le subir.
Magistrale aussi sa dernière création, ‘Miranda’, la fille de Prospero, dans La Tempête de Shakespeare, exilée comme son père sur une île, seule femme dans ce monde d’hommes. Et pour l’Opéra Comique de Paris, récemment rénové, un coup de maître de programmer ce coup d’audace musicologique.
Aidée de Cordélia Lynn pour le livret et du chef d’orchestre et musicologue Raphaël Pichon pour le choix de musiques, parfois inconnues, de Purcell, Katie Mitchell imagine un règlement de comptes contemporain, dans une petite église de la campagne anglaise entre une moderne Miranda et ses ‘bourreaux’: Caliban qui l’a violée et son père Prospero qui l’a donnée trop jeune à son mari, Ferdinand. Ce patriarcat archaïque ‘normal, coutumier’ à l’époque de Shakespeare a-t-il vraiment disparu ? De telles situations sont-elles impossibles ? Tout dans l’actualité du monde entier nous rappelle que le patriarcat est toujours bien vivant.
Ca commence par un prologue, du théâtre dans le théâtre, très shakespearien : une actrice raconte dans une église sa jeunesse meurtrie. L’église accueille ensuite une cérémonie d’hommage à Miranda, fille du vieux Prospero, officiellement suicidée dans une tempête. Mais elle reparaîtra, déguisée en mariée baroque se transformant soudain en déesse de la vengeance. Escortée de ses guerriers armés, elle sème le trouble et le désordre dans la foule des fidèles transformant l’église en tribunal.
Alors pourquoi un opéra baroque, à partir de Purcell, plutôt qu’une partition contemporaine ? La question, logique, est sans intérêt puisque la fusion entre cette partition sublime, le livret de Cordélia Lynn et la mise en scène de Katie Mitchell fonctionne en harmonie totale. Le miracle de faire du nouveau avec de l’ancien se réalise. Raphaël Pichon a puisé dans un ample répertoire de musiques quasi oubliées de Purcell, du théâtre opéra de circonstance, des airs lyriques ou rythmés qui enveloppent l’action parfois violente d’une beauté inouïe. Son orchestre d’instruments anciens et ses choristes, l’Ensemble Pygmalion sont en parfaite harmonie avec la trame shakespearienne, le livret contemporain mordant et ce mélange de beauté et de provocation, la marque de fabrique de Katie Mitchell. Tout contribue donc à la performance des solistes qui se révèlent des acteurs habités et des chanteurs séduisants. La mezzo Kate Lindsey dans le rôle titre de Miranda a une palette de couleurs dramatiques éblouissantes tout comme la soprano Katherine Watson en Anna, la jeune femme de Prospero .Une » découverte « , aussi, pour parfaire cette soirée : Aksel Rykkvin, un jeune Norvégien (14 ans) à voix de soprano, prédestiné au rôle d’Yniold dans ‘Pelléas et Mélisande’. Un grand bonheur, musical et visuel, au total.
Espérons que cette trop courte série d’une ‘rareté’ suscitera des reprises et en tous cas une suite chez le coproducteur, l’Opéra de Cologne, à deux pas de …Liège.
Miranda, mis en scène par Kathy Mitchell, recomposé d’après Purcell (et quelques autres) par le chef d’orchestre Raphaël Pichon.
A l’Opéra Comique de Paris, salle Favart, jusqu’au 5 octobre.
Christian Jade(RTBF.be)
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