Sidi Larbi Cherkaoui (‘L’Oiseau de Feu’) partage l’affiche avec Edouard Lock et Crystal Pite. Brillant et généreux.***
C’est devenu sa marque de fabrique: depuis qu’il partage la codirection de l’Opéra-Ballet Vlaanderen avec Aviel Cahn, le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui poursuit avec méthode un objectif : porter les acquis de la troupe flamande, axée sur le répertoire classique, vers des ambitions plus modernes et internationales. En confrontant le ‘corps de ballet’ à de grands maîtres étrangers qui poussent sa technique brillante vers des horizons plus novateurs.
Au printemps dernier, outre sa création chorégraphique sur le ‘Requiem’ de Fauré, il soumettait sa troupe à la force inventive d’Akram Kahn et ‘détendait’ ses danseurs avec l’esthétique « gaga » de l’Israélien Ohad Navarin.
Même schéma pour cette ‘première automnale’ à Gand, puis Anvers : il propose 3 œuvres sur le thème du ‘sauvetage’ ou du ‘salut’. Un vrai classique, ‘L’Oiseau de Feu’ de Stravinski, revisité par Sidi Larbi Cherkaoui lui-même. Le thème d’Orphée, modernisé par Edouard Lock dans ‘The heart of August’ et de brefs duos de la Canadienne Crystal Pite. Chaque fois il s’agit de bousculer les habitudes tout en profitant de la virtuosité des interprètes pour les mettre en valeur. Opération réussie à 90%, qui a mis le public gantois dans sa poche.
Dans la célébrissime œuvre de Stravinski, L’Oiseau de Feu, la première composée pour les ballets russes de Diaghilev et chorégraphiée par Michel Fokine (1910), l’Oiseau de Feu, et sa célèbre plume salvatrice, capturé puis relâché par le prince Ivan, viendra le sauver quand il sera prisonnier d’un sorcier malveillant et de sa troupe de démons. Les gracieuses jeunes ballerines opposées aux démons masculins forment un corps de ballet évoluant sans grande ‘révolution’ esthétique : le plus ‘classique’ des Cherkaoui. Par contre la scénographie de Willy Cessa qui concentre l’action dans une sorte de bloc de cristal qui s’ouvre et se ferme, selon la menace, donne du rythme à l’ensemble. Bel effet aussi, réalisé par Tim van Steenbergen, cet espace envahi, recouvert par l’énorme robe rose de la princesse comme si la féminité était la clef du » salut « , de la résurrection ? Un symbolisme doux.
Crystal Pite, 10 duos inventifs.
Crystal Pite ‘Ten duets’ – © filip Van Roe
Pratiquement inconnue dans notre pays, la Canadienne Crystal Pite propose en toute simplicité dix duos très physiques et virtuoses sur le thème du ‘sauvetage’. Chaque couple de danseurs homme-femme, homme-homme, femme-femme doit trouver en 1 une ou 2 minutes –un ’tweet’ chorégraphié !- une histoire à deux, un sauvetage-éclair, l’espace d’une brève rencontre entre équilibre et déséquilibre, jeu de bras et jeu de jambes, chute et élévation. C’est très jazzy et souvent drôle. Ces ‘gammes’ chorégraphiques ressemblent à des ‘exercices’ où le corps et l’esprit dialoguent vite et bien pour se surprendre et surprendre le public. Comme une invitation à sortir de la routine et à aller plus loin dans la question : ma technique est solide, j’en fais quoi ?
Edouard Lock : ‘The Heart of August’, thème et variations sur le mythe d’Orphée.
Edouard Lock ‘The Heart of August’ – © Edouard Lock
Avec Edouard Lock c’est une icône de la danse contemporaine internationale qui vient travailler avec le Ballet Vlaanderen en deux temps : cette ‘première’ sera suivie d’une autre au printemps 2018, histoire de se familiariser à la technique virtuose du directeur de La La La Human Steps. Sa danseuse ‘étoile’ Louise Lecavallier a impose, il y a plus de 30 ans, la femme androgyne, musclée, capable de ‘porter’ un homme, comme emblème de la compagnie. De 1980 à 2015, Lock adopte d’abord un style » punk » dont le fameux Human Sex qui le fit remarquer notamment par David Bowie et Frank Zappa. Puis Lock se tourne vers la danse classique et les fameuses ‘pointes’ mais dansées par de superbes ballerines grandes et musclées, d’où l’intérêt de nombreuses ballets d’opéras comme ceux d’Amsterdam et de Paris. Et du Ballet-Vlaanderen, avec quelques remarquables solistes.
On retrouve dans sa dernière création à Gand, « The Heart of August », thème et variations sur le mythe d’Orphée, son langage de base décrit comme ‘gracieux comme une ballerine, puissant comme un athlète et parfois déshumanisé comme une machine’. Sur scène des musiciens ‘live’ de l’Ensemble Hermès donnent aux danseurs les impulsions de la musique de Gavin Bryars. A partir de passages archiconnus de l’Orfeo’ de Gluck il dérive, entre jazz et musique répétitive, vers des valses viennoises déformées. Un décalage quasi humoristique d’autant que sur scène la succession de trios (une grande ballerine de noir vêtue encadrée par deux danseurs) ne fait pas dans la ‘langueur’ mais dans l’énergie d’un implacable et virtuose tournis mathématique. Si l’on ajoute un jeu abstrait d’ombres et de lumières, qui découpe l’espace avec rigueur, on assiste à un exercice de style fascinant, encombré de quelques longueurs centrales. Et le choix d’Orphée, en somme ? Edouard Lock : » Pour moi, Orphée s’adresse à la phase finale de l’amour, plutôt qu’à la phase plus populaire de la romance et de la séduction. Je pense que les souvenirs et les fins peuvent être peuvent être aussi puissants que les découvertes et les débuts « .
On sort de ce trio de propositions, Sidi Larbi Cherkaoui, Crystal Pike, Edouard Lock avec la sensation qu’il se passe vraiment quelque chose d’intéressant à l’Opéra/Ballet Vlaanderen. A suivre.
‘ L’oiseau de feu’ (Cherkaoui/ Pite/Lock)
–à l’Opéra de Gand jusqu’au 15 octobre
– à l’Opéra d’Anvers du 18 au 28 octobre.
Christian Jade (RTBF.be)
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