Théâtre : Joëlle Milquet communique les promus, les élus, les inattendus et les …sursitaires.
En juillet 2014, Joëlle Milquet, Ministre fédérale de l’Intérieur, passait à l’Enseignement et à la …Culture. Stupeur et tremblement dans le «milieu» théâtre et crainte de décisions rapides et expéditives pour le pain quotidien, les «contrats-programmes». Erreur.
Une politique habile
Après un an de réflexions et de consultations, un verdict clément est tombé pour 24 théâtres, un sursis d’un an pour 11 « menacés/condamnés » et des petites gâteries pour quelques nouveaux ou anciens méritants.
Apaiser, durer, plutôt que brusquer et braquer. Et décider, sur une ligne ferme, pas inéluctable. C’est la tactique Milquet, en matière de culture, du moins. Pas évident pour l’enseignement (75% du budget de la FWB plus de 7 milliards à gérer et des « accidents » politiques-dus à l’actualité-à tous les coins de rue). Plus simple pour la culture en général (3% du budget, un petit 300 millions) et le secteur théâtre en particulier (39 millions dont 31 pour les fameux contrats-programmes). Un secteur parfois en émoi pour 10% du budget culture, 0,3% du budget global de la FWB! Un jeu d’enfant pour une ministre expérimentée, en outre vice-Présidente de la dite FWB. Et ne dépendant (en fait) que d’elle-même.
Dès septembre 2014 Joëlle Milquet minimise les économies à réaliser, moins 3% par rapport aux moins… 5% du budget culturel flamand. A la mi-octobre 2014, la décision du saut d’index fédéral lui donne des marges de manœuvre et lui permet de réduire les économies à moins 1%. Une longue concertation commence entre son cabinet -principalement Thomas Prédour, ancien Directeur de la Vénerie, à Boitsfort- et 39 institutions. En janvier un manifeste « bouger les lignes » définit les grands axes des futurs nouveaux contrats, puis des discussions s’instaurent en « coupoles » dont les résultats seront promulgués le 26 septembre en grande pompe.
Une nouvelle charte de bonne conduite et un an de sursis pour la mettre en application.
En juin communication est faite aux institutions et conseils d’avis d’une « note d’orientation » qui définit les nouvelles « tables de la loi » de tout contrat programme en dix têtes de chapitres: remettre l’artiste au centre, soutenir les compagnies et la jeune création, atteindre de nouveaux publics, diversifier l’offre, renforcer les synergies, la diffusion, l’interdisciplinarité, les formes innovantes, mener une stratégie numérique. Et surtout, revoir la gestion et améliorer la gouvernance: sur ces deux points des mesures très concrètes sont proposées à couler en forme de décret pour 2017, un an de discussion, réflexion, application, élaboration juridique. Des propositions très concrètes sont faites sur la refonte des contrats programmes et la redéfinition du statut du directeur d’institution ou de compagnie avec des règles enfin précises sur le passage d’un statut de directeur de compagnie à celui de directeur de théâtre et vice-versa et sur l’impossibilité pour un ancien directeur de théâtre de rester dans l’institution sous une forme rémunérée. Le cas est assez fréquent! Réforme aussi des CA et AG des théâtres, compagnies et des conseils d’avis. Sous cette apparence technique, cela renforce la transparence du système. Pour tous les professionnels cette note d’avis est intéressante. Voici le lien. http://www.joellemilquet.be/wp-content/uploads/2015/07/Note-J.-Milquet-Pour-une-politique-th%C3%A9%C3%A2trale-renouvel%C3%A9e-Juillet-2015.pdf
En même temps la Ministre prend deux mesures, techniques et tactiques: unification des contrats-programmes pour les théâtres et les compagnies, un cadeau à ces dernières, et application différée du tout à l’horizon 2017. Pratiquement cela renforce la cohérence du système élaboré dans la précipitation et laissé inachevé par Fadila Laanan. Une décision qui permet surtout de peaufiner et de traduire le tout en un décret qui clarifie le « nouveau jeu » Tactiquement c’est bien joué aussi puisque 2016 verra la désignation du nouveau directeur du Théâtre National (6.500.000 euros de subvention, cela mérite réflexion) avec un possible jeu de chaises musicales multiples en fonction du départ à la retraite d’autres directeurs. Un an de sursis bienvenu pour mettre en garde les nouveaux (et actuels) directeurs de leurs nouvelles obligations qualitatives et quantitatives, plus surveillées-en principe- qu’auparavant.
Paradis, purgatoire, enfer ? Le verdict, susceptible d’appel.
En attendant Joëlle Milquet publie, le 17, sa liste d’ « élus » et son futur salon des refusés juste avant les vacances, ce qui n’exclut pas des grincements de dents… à la rentrée.
La décision repose, comme celles de Fadila Laanan pour les subsides aux compagnies, sur les avis de son conseil, le CAD, qui propose soit une augmentation soit le statu quoi soit 3 types de sanctions, réduction du projet, réévaluation ou arrêt.
-8 projets se voient attribuer une augmentation de 5% (Centre dramatique/Théâtre de Namur, Centre de Théâtre-Action, Les Baladins du Miroir, Les Tanneurs, le Théâtre de la Vie, le Théâtre de Liège, le Théâtre des Galeries et le Théâtre du Parc)
-la plupart obtiennent le statu quo mais quelques-uns sont priés de se regrouper.
-11 reçoivent un avis négatif avec réduction de subvention de 5% qui vient subsidier l’augmentation des autres. Cette pénalité est un « signal clair » pour proposer une autre logique ou pour arrêter leurs activités « en douceur ». Les avertis/punis: Alternatives théâtrales, Arsenic, le 140, La Valette, Toone, Centre de la Marionnette, Festival de Spa, Promotion Théâtre, Théâtre Arlequin, Comédie Claude Volter, Groupov.
-Quelques-uns, « hors cadre » reçoivent des encouragements bienvenus: l’Atelier 210 (Bruxelles), Jardin Passion (Namur) et une foule de Liégeois, deux anciens (Axel de Boosere et Maggy Jacot, ex-Arsenic, ci-devant Pop Up et Le Corridor) et deux récents, La Halte et La Chaufferie Acte 1 : des pépinières de talents nouveaux. Sans compter le festival de Liège qui devra s’élargir à davantage de créations belges…et devenir annuel.
NB: la note complète expliquant sa décision (8 pages) peut se trouver via le link suivant
Conclusion: wait and see.
La Ministre tranche avec prudence, elle a raison. On ne tranche pas à vif dans des institutions aussi symboliques que le Groupov ou le 140, l’esprit 68 à Liège ou Bruxelles. Les subventions récentes à la « pépinière » liégeoise, dans la mouvance de Delcuvellerie sont habiles. Mais que faire des historiques Festival de Spa, La Valette, Claude Volter ou Toone: faudra que les régions ou les communes prennent le relais? Sacrifier la revue franco-belge Alternatives Théâtrales (coût exorbitant!!! 65.000 euros/an, la plus petite subvention de tous les groupes)? Elle change de directeur en 2016, avec Antoine Laubin, promotion « pépinière », succédant au père fondateur, Bernard Debroux. Appliquer les « nouveaux critères » peut aider à quelques solutions?
Joëlle Milquet gagne du temps: elle a raison par rapport à un calendrier 2016 chargé de rudes décisions sur quelques théâtres majeurs: le National, Mons après 2015, Les Martyrs, le Poche et pas bien loin peut-être Liège ou Namur. 2016 sera le bal des ambitions comblées ou déçues. Chacun fourbit ses armes et s’occupera peu des autres.Et par rapport à l’application en 2017 (dans une bonne petite année) des nouveaux critères applicables à 39 institutions et autant de compagnies présentes ou à naître, avec nouveau décret : en plus de sa charge de Ministre de l’Enseignement ! Santé , Madame!
Une inquiétude, quand même: le nombre de critères pour faire des économies dans le secteur, entre le quantitatif, nombre de sièges vendus, etc et le qualitatif, comment arbitrer? Souvent » évident « . ah oui ? Un seul exemple : la Ministre veut faire des économies d’échelle à Ixelles qui avec le Varia, le Marni et le Rideau,(chassé de Bozar) a trois théâtres dans un mouchoir de… poche. Non loin du Poche d’ailleurs. Et de 4 .Bruxelles a une solide tradition théâtrale de fait comme Liège la musique. Affecter un des trois lieux à un culte…ou le revendre? Quelle équipe sacrifier? Encore une année attendre.
NB 1 : petit jeu de vacances:
Voici le lien vers les « critères objectifs » dressés par l’administration à la Ministre et à son cabinet. Vous connaîtrez tout sur les subventions, le nombre de spectateurs, le nombre de sièges payants ou gratuits, de représentations/année, de subsides/recettes propres (intéressant, celui-là), d’abonnements. Et le « montant de subvention par spectateur », c’est vous qui payez, vous le contribuable, un peu démago, non? favorisant le divertissement, of course. Vous payez plus pour rire que pour vous concentrer, non? Alors où est le jeu? Vous vous mettez à la place de la Ministre pour choisir les 10 que vous éliminez « objectivement »… sur ces critères. Bonnes vacances !.
NB2/ Déjà une réaction aux décisions de la Ministre et à sa note d’orientation. Elle émane de la Chambres des Compagnies Théâtrales pour Adultes asbl – CCTA.(regroupe 67 compagnies professionnelles) Un extrait:
« Nous regrettons que les décisions chiffrées annoncées ne concrétisent pas pour 2016 l’intention formulée en page 9 de la note d’orientation de la Ministre : » Le budget affecté au CAPT devrait être augmenté pour renforcer les aides à la création. «
– Nous demandons que soient clarifiées au plus vite les missions des cinq » Centres Dramatiques » (Théâtre de Liège, Théâtre Varia, Manège.Mons, Théâtre de Namur, Atelier Théâtre Jean Vilar) et plus particulièrement leurs obligations en matière de co-productions, soutiens et achats envers les compagnies de la FWB.
– Nous demandons que l’harmonisation des calendriers s’applique également aux opérateurs du secteur qui ne sont pas cités par la note (Manège.Mons, Théâtre Poème 2, Théâtre Marni, L’L, Palais des Beaux-Arts de Charleroi,…). »
Fin de citation: le débat ne fait que commencer!
Christian Jade(RTBF.be)
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