Théâtre. Venise Biennale: Fabrice Murgia, Lion d’Argent 2014, candidat à la direction du National et futur cinéaste
Ces discrets « Lion d’Or et d’Argent Théâtre à quoi servent-ils ? Fabrice Murgia répond et fait le point sur sa carrière présente et à venir: il est candidat à la succession de J.L. Colinet à la tête du Théâtre National.
Un Suisse (Christoph Marthaler) et trois jeunes Espagnols de Barcelone (le collectif « Agrupacion Señor Serrano ») remportent cette année, l’un le Lion d’Or de la maturité, les autres le Lion d’Argent de l’émergence. L’an passé deux Belges se partageaient les Lions, Jan Lauwers, l’Or et Fabrice Murgia, l’Argent. A nouveau invités cette année pour présenter leur dernière œuvre, The Blind Poet pour Jan Lauwers, Notre peur de n’être pour F. Murgia, à un public très jeune, celui des 350 jeunes acteurs participant à des stages conduits par les grands maîtres (Marthaler mais aussi Ostermeier, Castelluci, Falk Richter, Milo Rau ou Jan Lauwers) et les émergeants (comme les Espagnols Lion d’Or 2015 ou… Fabrice Murgia, « argenté » 2014)
L’occasion toute trouvée pour demander à Fabrice de faire le point sur sa carrière fulgurante, en 6 ans: première œuvre remarquée, le Chagrin des ogres(2009), avant-dernière (Notre peur de n’être, présentée à Avignon en 2014, 2015 à la Biennale Teatro Venise) dernière (Ghost Road 2, Children of nowhere) à Santiago et au Festival de Liège (2015) Et sur ses ambitions nouvelles: un film ? La direction du National ?
Fabrice Murgia Interview
-C.J :Qu’apporte dans votre carrière un Lion d’Argent à la Biennale de théâtre de Venise ?
–F.M : C’est d’abord un encouragement à développer encore davantage mon langage visuel que je puis transmettre cette année dans ce même festival à une vingtaine de jeunes acteurs. Un parcours d’une dizaine de jours intitulé la Terra trema, à la fois clin d’œil à Visconti et coup d’œil sur l’état explosif du monde actuel. Je suis l’un des 7 « maîtres » à diriger ces ateliers avec, entre autres, Falk Richter, Milo Rau Jan Lauwers et le Lion d’Argent de cette année, les émergents espagnols Agrupacion Señor Serrano, eux aussi passionnés par le renforcement du théâtre par une vidéo de création. A mon âge ces échanges ne sont évidemment pas à sens unique, chacun échange ses compétences et je reçois autant que je donne.
Mais ce Lion d’Argent consacré à l’ »émergence » renforce et stabilise mon projet. Il lui donne une grande visibilité sur le plan international et pour ma compagnie Artara, c’est une « pierre blanche » sur notre parcours, toujours bonne pour le moral ! Ce « label » me place en position de force par rapport aux programmateurs internationaux qui sont nombreux ici ce qui me permet de diffuser mes spectacles dans le monde entier, plus qu’à Avignon, consacré à la sphère francophone.
Enfin les rencontres avec les jeunes acteurs européens permettent de voir l’effet désastreux pour la culture des restrictions budgétaires dans des pays comme le Portugal, l’Espagne et même l’Italie, les pays du Sud de l’Europe.
–CJ : Et la situation théâtrale en Belgique ? Vous faites partie d’une « coupole » chargée de renseigner la Ministre, hors des conseils d’avis, sur l’état du théâtre belge. Des décisions négatives ont été prises par Mme Milquet, le 17juillet, plaçant en sursis un certain nombre d’institutions. Dont le Groupov, de votre « maître » Jacques Delcuvellerie, qui passe d’une subvention de 600.000 euros à 240.000, 60% de réduction et l’obligation de répartir les 360.000 ainsi économisés sur de jeunes compagnies ou lieux liégeois?
-FM : Je comprends le désarroi de Jacques Delcuvellerie. J’ai beaucoup de respect pour ses méthodes de création qui demandent du temps. J’ai aussi beaucoup de tristesse à comprendre que ces méthodes n’appartiennent plus à notre époque et que Rwanda 94 ne pourrait plus être créé aujourd’hui. Néanmoins je ne peux qu’observer autour de moi la difficulté des jeunes à être soutenus dans leurs démarches pour obtenir une première subvention. Ce qui dans ces histoires fait du tort à tous, c’est d’opposer de manière manichéenne jeunes et vieux créateurs. Je refuse le jeunisme mais il faut être cohérent avec son temps.
CJ : Vous allez poser votre candidature à la direction du Théâtre National, suite au départ de Jean-Louis Colinet? Avec tous vos projets, théâtre mais aussi cinéma, croyez-vous que ce soit « sage » de courir, à 32 ans, tant de lièvres à la fois ?
FM : Beaucoup de gens sérieux -surtout à l’étranger -me voient bien mettre le fonctionnement institutionnel d’une aussi grande institution au service de l’artiste. Je me rends compte de la chance que j’ai eue, à 25 ans de disposer d’’un instrument de luxe pour gérer un plateau. Le National de J.L. Colinet a été ma « deuxième école » après le Conservatoire. J’aimerais, en en devenant directeur, transmettre cette chance à d’autres « émergents », pas nécessairement jeunes. Songez au temps qu’il a fallu à Joël Pommerat pour s’imposer dans de grandes institutions. Je suis persuadé que le National a vocation à devenir un centre de création européen, comme le Vidy-Lausanne de feu René Gonzalez, mon modèle à ce niveau. Quant à la contradiction entre diriger une grande institution et continuer à mettre en scène, en France une majorité d’institutions sont gérées par des artistes appuyés par une excellente direction administrative. Tout comme en Allemagne où Thomas Ostermeier a été nommé à la tête de la prestigieuse Schaubühne …à 31 ans.
CJ : Cela fait plusieurs années que vous parlez de passer du théâtre au film. Cette fois vous y êtes ?
–FM : J’y arrive petit à petit. Je travaille depuis 6 mois à un scénario de film… mais qui restera lié au théâtre. Ma prochaine création théâtrale aura lieu au National en janvier 2017. Les m « thodes scénaristiques du cinéma ont quelque chose à apporter à mon théâtre. J’aimerais aussi arriver à financer le théâtre avec les moyens du cinéma. Mais le théâtre peut aussi être un « workshop » pour annoncer l’écriture d’un long métrage. Si tout va bien, mon premier film sera le prolongement du spectacle de théâtre de janvier 2017. J’ai mis du cinéma dans le théâtre, pourquoi pas du théâtre dans le cinéma. Mais pas du » théâtre filmé » à l’ancienne. Regardez ce que Jaco Van Dormael a apporté au théâtre avec Kiss and Cry. Mais ma grande admiration du moment va à la Grande Bellezza de Paolo Sorrentino
Christian Jade (RTBF.be)
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