• Danse  • Annie Bozzini. Danse, politique, féminisme. La Directrice de Charleroi Danse, un personnage incontournable.

Annie Bozzini. Danse, politique, féminisme. La Directrice de Charleroi Danse, un personnage incontournable.

La 2è Biennale de Charleroi Danse patronnée par Annie Bozzini s’est achevée samedi dernier après trois semaines passionnantes structurées autour d’axes très clairs, très volontaristes.

La patronne de Charleroi Danse depuis 2016, directrice pendant 20 ans du Centre chorégraphique de Toulouse veut conserver une image d’excellence artistique tout en ouvrant un dialogue avec les habitants de Charleroi et Bruxelles.

Elle est féministe dans ses convictions et sa programmation tout en voulant « raison garder ». Elle est ouverte à l’Afrique, au Brésil et de manière générale à de grands formats belges et internationaux. Son ambition, ouvertement affichée, est de structurer le secteur chorégraphique belge pour convaincre les politiques de donner davantage de moyens à la danse. Elle dégage une force incontestable de « grand manager », sûre d’elle, à la française. Impressionnante.

L’interview d’Annie Bozzini.

Comment faire venir à la danse un public populaire ?

Annie Bozzini : Entre Molenbeek (la Raffinerie), et Charleroi (les Ecuries), le travail sur le public est vraiment intéressant mais il faut changer notre manière de nous adresser aux gens pour qu’ils viennent et dépassent cette idée que « ce n’est pas pour eux« . C’est pour eux aussi et on essaie d’être accueillant pour n’exclure personne. Mais comment rendre la culture en général et la danse en particulier plus « populaires », du moins plus accessibles ? Comment rendre « l’excellence » populaire ? C’est un défi permanent qu’on a relevé un peu aussi grâce à la Ville de Charleroi et du bourgmestre Paul Magnette qui est très conscient de ce que la culture peut apporter. Il respecte ce que l’on fait mais il peut aussi se poser des questions sur la manière dont on pourrait amener plus de monde. C’est notre tâche, on a déjà beaucoup progressé, mais pas suffisamment à mon goût.

Une de vos exigences de départ, c’est que vos artistes basés à Bruxelles s’intéressent davantage à Charleroi.

Les gens qui habitent Bruxelles ont une perception de Charleroi qu’il faut un peu bousculer. Il y a de nouvelles habitudes à prendre, cela se fait petit à petit. Plusieurs artistes travaillent ici sur le terrain : Mauro Paccagnella,  Ayelen Parolin, Louise Vanneste ont engagé une forme de dialogue. Ayelen pense à un atelier spécifique pour les femmes. Quant à Boris Charmatz, il a entraîné dans la danse pour la Biennale des enfants de la Ville. C’était joli de voir ces petits Carolos montrer ce qu’ils savent de la danse d’aujourd’hui. C’est tout de même une petite machine de guerre à organiser avec plusieurs week-ends d’entrainement en amont. Cette proposition de Charmatz qui avait déjà traité un sujet « enfant », on ne peut évidemment pas l’imposer aux autres artistes que je soutiens mais ils doivent s’investir à leur façon.

Comment intéresser les politiques à la danse ?

Globalement, la Belgique est une bonne surprise pour moi : c’est un des rares pays où je n’aurai pas de difficultés à faire ce que j’ai à faire. Je ne sens pas en face de moi des gens qui m’empêcheraient d’agir. En Fédération Wallonie Bruxelles, on a un rôle important à jouer à la fois pour fédérer et proposer des axes de réflexion et d’action.  Je suis là pour organiser un peu mieux un champ chorégraphique qui ne me semble pas très bien structuré et lui donner plus de reconnaissance politique, et donc plus de moyens. C’est ce qui m’importe. Je ne connais pas bien la nouvelle Ministre de la Culture, mais quand je lui parlerai, on aura un vrai plan à lui proposer, dans l’intérêt de la danse.

Vous avez consacré une semaine entière de la Biennale à la création féminine. Votre position sur le féminisme actuel ?

Quand on est responsable d’une institution comme la nôtre, on ne peut pas ignorer ce mouvement féministe mais avec des nuances, car un artiste est un artiste, homme ou femme. Je n’en fais pas pour autant un drapeau, et on présentera peut-être l’année prochaine des artistes qui feront trembler les « Me Too » et cela m’est égal, c’est aussi notre liberté.

En revanche, je pense qu’aujourd’hui les femmes osent dire des choses dont témoignait par exemple à la Biennale le spectacle « Ida » de Lara Barsacq qui ne pouvait être fait que par une femme. Ida Rubinstein, plus qu’une « muse » est une grande artiste, très en avance sur son temps, une des premières femmes nues sur un plateau. Donc vivent les femmes qui nous le rappellent, alors que les hommes ont souvent tendance à contourner le sujet. Je ne fais pas de programmation « féministe », il se trouve simplement que dans la création chorégraphique, il y a plus de femmes que dans la musique, par exemple.

Je suis féministe depuis toujours mais je trouve que c’est paradoxalement parfois plus difficile aujourd’hui d’être un homme qu’une femme ! Je m’explique : les contestations des excès du « masculin », c’est normal mais certains dérapages générationnels me mettent mal à l’aise comme les réactions à la fameuse lettre de Catherine Deneuve. C’est une femme libre qui a le droit de penser, de déranger, voire de déraper et les attaques contre elle étaient disproportionnées. Le combat féministe est juste, il faut toujours le garder au centre du débat, mais les manières de faire sont parfois excessives. On ne gagnera pas grand-chose à cette attitude systématique contre les hommes.

Vous avez décidé de reléguer la Raffinerie à Bruxelles à un rôle secondaire ? Un acte de politique culturelle ?

La Raffinerie est un lieu de rassemblement de la profession avec des moyens mis au service des compagnies, en termes d’espace, de production, d’aide technique, de formation etc. On y fait tous les spectacles jeune public pour l’environnement immédiat à Molenbeek. On y fait aussi beaucoup de spectacles en création, qui seront montrés au public ou pas. Et on conserve le festival LEGS qui concerne le milieu chorégraphique, autour de l’histoire de la danse : comment l’histoire nourrit aujourd’hui la création des danseurs, c’est un temps de programmation important. Ça, les hommes de théâtre ne le feront jamais.

MAIS la danse doit gagner en reconnaissance politique au niveau des moyens et on doit avancer comme une armée ordonnée. Rajouter la Raffinerie comme lieu de diffusion sur la ville de Bruxelles ne me semble pas indispensable, car à Bruxelles, l’offre est déjà importante. On va donc aider certains théâtres à présenter de plus grandes formes, pour ne pas enfermer la danse dans le solo, le duo, le trio, qui sont des cages pour l’imagination. Au lieu de rajouter un lieu, il est préférable d’encourager les théâtres qui ont de grandes salles à diffuser de la danse. Cette année, on présente par exemple, avec les Halles de Schaerbeek, Catherine Diverrès avec une pièce pour 12 danseurs, la compagnie Mossoux-Bonté une chorégraphie pour 10 danseurs et Christian Rizzo une pour 14 danseurs. Dans le même esprit, je soutiens des projets au Théâtre National, aux Brigittines, au Kaai et au Kunsten (KFDA).

En somme, je suis sûre d’une chose, c’est que la danse a besoin d’être défendue, et les gens comme moi doivent le faire. J’en suis convaincue, car j’ai choisi ce domaine-là, je sais pourquoi je l’ai choisi et je peux convaincre des gens. Il faut par contre beaucoup de souplesse dans l’application.

Le teaser de la Biennale 2019

Catherine Diverrès aux Halles de Schaerbeek en novembre

La compagnie Mossoux Bonté aux Halles de Schaerbeek en novembre 2019

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

POST A COMMENT