» Dernier lit » (Hugo Claus). Haine, amour, suicide à Ostende. Le testament violent d’un poète ***
En 1998, Hugo Claus écrit une nouvelle d’une beauté poignante, sous forme d’une » lettre » de haine filiale, qui se termine par un double suicide. Dix ans plus tard (2008), il choisit, comme ses deux héroïnes, une mort volontaire.Dix ans plus tard, Christophe Sermet rend hommage à ce génie littéraire flamand du XXè siècle, en portant à sa juste incandescence théâtrale cette nouvelle testamentaire. Avec une belle portée symbolique et politique: ce Suisse allemand, artiste associé au Rideau de Bruxelles, fait jouer « Dernier lit » en français, surtitré en néerlandais, au KVS, le théâtre flamand de Bruxelles, Il y a des jours où la capitale de l’Europe mérite son titre.
» Dernier lit « , c’est l’histoire d’un amour fou, donc mortel, entre 2 femmes. Une histoire jetée à la tête d’une mère haïe, incestueuse, mourante. Avec cette rage initiale : « Tu as tendu une main glaciale à Anna la première fois… Dès cette première minute des rivales, des ennemies mortelles. Avec moi comme enjeu…Tu flairais notre amour. Tu voyais que j’étais heureuse et tu ne pouvais pas le supporter. Tu bouillais de colère et tu souriais. Je te voyais préparer ton couteau de boucher. »
Quand s’ouvre la représentation, Claire Bodson fait gicler cette haine sans fond, fil conducteur et leitmotiv d’un ensemble complexe. Tour à tour actrice et narratrice, elle porte ce récit à la fois douloureux et sarcastique avec une énergie flamboyante. Elle alterne, sans excès -présence éclatante- les cris de haine et d’amour, les flash-back entre fantasmes et réalité, les ricanements vis-à-vis d’une société flamande conservatrice et hypocrite. Après la mère, rivale, voici les profs qui ne supportent pas la liaison entre leur collègue Emily, prof de musique (jadis enfant prodige du piano) et la fille d’une » nettoyeuse (Anna). Caricature, le journaliste, Jan Van Eyck (!!), » petite gueule de crapaud, oblique et sans lèvres « , exploite un fait divers sordide : Anna perd son gosse et » balance » son amante. On se perd parfois entre fantasmes et réalité tant les flashbacks sont nombreux, comme les personnages évoqués dans un récit sinueux et baroque.
Une langue baroque, juteuse éclate dans un univers visuel épuré.
Claire Bodson et Laura Sépul dans – © Marc Debelle
Christophe Sermet a choisi la ligne claire pour éviter le morcellement de l’attention ou l’image provocante. Comme si le protestant suisse s’attribuait l’image austère et laissait au baroque flamand l’éclat d’une langue juteuse. Aidé par son complice, le scénographe Simon Siegmann, il transforme le vieil hôtel désuet et sa suite Spilliaert en un univers froid, funèbre, où 16 tables carrées, alignées comme des tombes, servent aussi au » dernier repas » des amantes et à une sanglante exécution. Mais cet univers glacial est hanté par la présence sensuelle de l’amante, Anna, incarnée par Laura Sépul, discrète et intense. Elle déambule, fantôme muet, de son lit en retrait aux tables alignées, toutes cuisses dehors, comme Emily, » bâtie en opulence et en ondulations « . Le dialogue s’établira surtout au final tragique, sensuel et mortel.
Au total un triple cadeau : la langue somptueuse d’Hugo Claus, un remarquable duo d’actrices Claire Bodson et Laura Sépul et un metteur en scène, Christophe Sermet, qui maîtrise parfaitement toutes ces énergies.
A mes côtés pendant la représentation, Alain Van Crugtem, le merveilleux traducteur francophone d’Hugo Claus (et de Tom Lanoye) était sous le charme. Dialogue final : » -Alors Alain, tu as retrouvé » ton » Claus, tout y est ? -(sourire) : Tout y est « . Quant au journaliste du » Standaard « , Gilles Michiels, il trouve dans » Dernier lit » un parfum de » Mort à Venise » et loue la sobriété de Sermet « qui porte à son maximum le discours poétique ». Quant à Claire Bodson : » Bodson provoceert en intrigeert met indrukwekkende bravoure « . Faut-il traduire ?
» Dernier lit » d’Hugo Claus, mise en scène de Christophe Sermet.
Au KVS jusqu’au 30 mars.
Info: http://www.kvs.be/
http://www.rideaudebruxelles.be/
Christian Jade (RTBF.be)
Cet article est également disponible sur www.rtbf.be