• Alternatives théâtrales  • MUZUNGU (Vincent Marganne). « Est-ce que les enfants des méchants sont des méchants ? ». Une enquête subtile. ***
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MUZUNGU (Vincent Marganne). « Est-ce que les enfants des méchants sont des méchants ? ». Une enquête subtile. ***

L’enfance est-elle un vert paradis ou le début d’un enfer passé inaperçu ? Dans un récit pudique et fort Vincent Marganne égrène ses souvenirs de petit bonhomme né au Burundi dans les années 60, juste après l’indépendance du pays, colonisé par l’Allemagne puis par la Belgique. Il n’a pas compris, à l’époque, pourquoi lui et sa famille étaient retournés précipitamment en Belgique en 1972- il avait 7 ans- à la suite d’« événements» pas très clairs  opposant Hutus et Tutsis.

L’occasion d’une enquête rétrospective toute en finesse et qui sonne juste. 

Blanc/Noir : un inconscient trouble.

« Muzungu », « blanc » en swahili est chargé d’un poids d’histoire coloniale où le « Blanc » était craint et détesté dans une ambiguïté propre à tout rapport de forces. Mais quand les parents de Vincent débarquent au Burundi, en 1963 ils n’ont aucune volonté « coloniale ». Le père est un coopérant fuyant le service militaire belge, un prof de maths dans un collège dirigé par des jésuites, où se côtoyaient blancs et noirs, hutus et tutsis, en toute innocence apparente. Le père est aussi coach de l’équipe de basket du collège dont il est fier et qu’il essaie, difficilement, de faire voyager en Belgique avec l’opposition un peu sournoise du Père jésuite, son directeur. Ce filage « colonial » on l’apprend petit à petit par un dialogue entre Vincent Marganne penché sur son passé et Edson Anibal, un jeune acteur africain qui insinue d’abord les questions qui dérangent et finit par incarner un personnage au parler franc, un Hutu sauvé du massacre par le père de Vincent.

Une quête du père.

Si le spectateur adopte le spectacle c’est qu’il nous plonge d’abord longuement dans un décor touchant, un montage délicieux d’images d’enfance délavées à partir de kilomètres de caméras super 8, tournées par le père et habilement tressés par Noémie Vanheste en une scénographie active qui attire les souvenirs comme un aimant.

Tous les clichés sur le charme de l’Afrique, sa nature peuplée d’animaux splendides, le vert paradis d’une propriété à piscine, la présence discrète des « boys », les performances de l’équipe de basket sont bien là, témoins muets du bonheur disparu. Mais l’ambigüité s’insinue progressivement dans ces images innocentes et il n’y a pas de « super 8 »  du traumatisme majeur, la découverte, en 1972, depuis la voiture paternelle de cadavres ensanglantés qui entraîne la question centrale. « Est-ce que les enfants des méchants sont des méchants ? »  On change de registre, la douceur de vivre devient la découverte du mal absolu, le massacre d’innocents. Un souvenir « évacué » qui resurgit tardivement suite à la rencontre du Hutu exfiltré par le père, en 1972 une action restée un secret de famille.

L’interprétation en douceur de Vincent Marganne et Edson Anibal porte la marque de Serge Demoulin, metteur en scène originaire comme Vincent de cette Ardenne profonde mais surtout explorateur des ambiguïtés de l’Histoire. On se souvient de son « Carnaval des ombres » explorant habilement les détours de sa famille partagée, pendant la guerre 40/45 entre collabos et résistants. Ici c’est l’histoire coloniale d’abord inconsciente qui surgit comme un coup de tonnerre dans une famille paisible. 

Sans emphase, sans prétendre à la vérité absolue sur cette époque troublée (et qui le demeure) Vincent Margane dit sa vérité dans une émouvante quête des origines.

« Muzungu » de Vincent Marganne a

  • au Rideau de Bruxelles jusqu’au 12 juin.
  • au Festival de Stavelot, le 7 juillet

Christian Jade

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