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Des hommes endormis, au Rideau de Bruxelles. Deux femmes à la manœuvre.

Michael Delaunoy présente au Rideau de Bruxelles sa dernière mise en scène  comme directeur avant de passer la main en octobre à Cathy Min Jung. Il renoue avec Martin Crimp dont il avait déjà présenté en 2015 une brillante mise en scène de  « La Ville ».

 

Nous avons profité d’une pré-générale pour interviewer Michael Delaunoy  sur les raisons de sa fidélité à Martin Crimp et sur son bilan personnel. 13 ans à la tête d’un théâtre, ça compte mais le retour à la simple direction d’une compagnie le laisse serein.

Par principe on n’émet pas de « critique » avant la première mais on a des « impressions » face à un dispositif scénique, une dynamique de groupe et un texte de référence.

Le texte de Martin Crimp interpelle puisqu’il brasse un grand nombre de thèmes contemporains, un couple sans enfant, la prise de pouvoir par un couple de jeunes, l’homosexualité latente des hommes comme des femmes, jeunes comme vieux, la violence, la manipulation, la prise de pouvoir par les femmes, Julia intellectuelle, la cinquantaine et son assistante, Josefine. Le final est étrange : les hommes « endormis » ont disparu et les femmes restées seules n’évoluent pas dans la sérénité.

Des hommes endormis, au Rideau de Bruxelles

Des hommes endormis, au Rideau de Bruxelles – © Alessia Contu

Le style de Martin Crimp est très concret, dans les petits détails de la vie mais pas du tout psychologisant et réaliste comme le théâtre anglo-saxon nous y a habitués. Ses dialogues insinuants ou explosifs traduisent bien ce climat d’ambiguïté qui règne sur le plateau.

Surprise : un dispositif quadri-frontal nous place face à un carré magique, piscine, ring ou carré de séduction qui permet de suivre la dynamique de groupe dans ses lenteurs, ses accélérations, ses explosions.

Autre surprise : face à deux acteurs chevronnés, Anne Clair et Serge Demoulin deux jeunes acteurs, tout juste sortis des écoles, sélectionnés via le CAS, Mikael Di Marzo et Pauline Serneels font mieux que se défendre… à la pré-générale. On leur souhaite le même cran/talent pour la suite de l’aventure.

On aura compris que mon « impression  globale est la « bonne » surprise.

Des hommes endormis, à voir au Rideau de Bruxelles jusqu’au 10 octobre

« Des hommes endormis » vus par Michael Delaunoy

Michael Delaunoy

Michael Delaunoy – © Beata Szparagowska

Christian Jade : Le monde selon Crimp vous passionne. Pourquoi ?

Michael Delaunoy : Ce qui me touche dans cette écriture c’est qu’elle crée une tension particulière. La violence n’est jamais montrée de façon directe elle est toujours « hors champ ». Comme dans le cinéma de Michael Haneke, on la devine, on la pressent et elle est d’autant plus inquiétante. Il y a toujours quelque chose qui échappe, qui cloche. La fin est particulièrement ambiguë. On ne sait pas très bien ce que sont devenus les hommes : ont-ils disparu ? Sont-ils morts, assassinés ? L’écriture de Crimp met en branle différentes pistes à explorer mais il laisse le spectateur avec ses doutes.

La scénographie donne un cadre quasi mathématique à ce jeu d’influences. Pourquoi ce choix d’une scénographie quadri-frontale ?

Cette disposition permet de bien épouser les points de vue multiples de Crimp sur ses personnages et les spectateurs voient tous quelque chose de différent par le changement d’angles. Mais l’origine de ce dispositif est né des exigences du Covid19 par rapport au placement des spectateurs. L’idée était de se rassembler autour des acteurs, puis le carré initial est devenu une piscine, une fosse, une arène.

C’est un dispositif contraignant (pas de porte, pas d’issue) qui permet de « déréaliser » l’espace en ne gardant que quelques éléments concrets d’un appartement : des placards, et le robinet devient un « personnage de la pièce » ! Je préfère suggérer que montrer. On avait besoin d’un dispositif très « aseptisé » qui raconte ce qu’on vit pour le moment et qui entre en écho avec « l’hygiénisme » des pièces de Crimp. Son monde est froid, sans empathie ; les gens se parlent de façon étrange sans que ça paraisse étrange pour eux. ll y a donc quelque chose à faire vibrer entre notre situation de confinés aujourd’hui et ce texte dur.

Michael Delaunoy, directeur du Rideau, « game over » : bilan et perspectives

Tout le monde sait ce que vous avez apporté au Rideau, mais que vous a apporté le Rideau ?

La capacité à gérer plusieurs choses en même temps. Outre la continuité de mon rôle de metteur en scène, il a fallu gérer l’administration, dialoguer avec les pouvoirs publics. Pour diriger un théâtre, il faut articuler plusieurs logiques et compétences et créer du lien entre tous et donc avoir un regard multiple. Je repars « en compagnie » mais je n’ai plus la même vision de « l’institution » théâtre.

Le passage à la gestion modeste d’une compagnie ne va-t-elle pas créer une sorte de vide ? Comment se préparer à cette nouvelle étape ?

La grosse question qui s’est posée à moi en abordant la fin de ce dernier mandat, c’était : de quoi j’ai envie ? Est-ce que j’ambitionne une autre direction ? J’ai posé ma candidature à l’Atelier Jean Vilar, et n’ai pas été retenu. Si je ne l’avais pas posée, j’aurais eu un regret, et le fait de ne pas avoir été choisi me libère. Ce dont j’ai le plus besoin, c’est de me ressourcer alors qu’une direction de théâtre vous prend tout entier. Je vais donc avoir plus de temps à consacrer à mes loisirs culturels (expos, lectures), à mes enfants et à ce que j’appelle la « contemplation ». Curieusement, le confinement m’y a ramené. Evidemment, je renonce à une part de pouvoir, mais il est bon, en démocratie, de remettre ses mandats en question, je n’ai pas le goût du pouvoir en soi.

Ce qui m’intéressait comme directeur, c’est de pouvoir permettre à certaines aventures d’exister.

Quand on a le pouvoir, on est très courtisé et sollicité, et ça peut même vous assécher. Ça ne va pas me manquer, ça va au contraire me permettre de respirer.

Le pouvoir a quand même fait de vous une « référence » dans le paysage théâtral.

Je n’ai pas envie de m’accrocher à tout prix. Je pourrais même un jour complètement abandonner le théâtre. Tant que j’ai du désir et que d’autres ont envie de travailler avec moi, je continue. Mais tout le monde n’est pas Claude Régy qui a continué jusqu’au bout.

Vous n’êtes plus directeur, mais comme metteur en scène, je ne vous sens pas fort proche de la retraite !

Plus j’avance en âge, plus je doute de nombreuses choses. On n’est pas plus sûr de soi avec l’âge, au contraire, on doute de plus en plus. Je n’ai plus la même énergie physique, mais j’ai peut-être autre chose, une expérience utile aux autres. J’aime que les générations discutent, se confrontent, se mélangent : j’aime être à cet endroit-là, de passage, de relais.

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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