• Opéra  • « Macbeth Underworld » de Pascal Dusapin : Thomas Jolly, metteur en scène, dans le bain d’une création

« Macbeth Underworld » de Pascal Dusapin : Thomas Jolly, metteur en scène, dans le bain d’une création

Thomas Jolly est connu en France comme un fou de Shakespeare qui a monté à Avignon, en un marathon de 18 heures, la trilogie intégrale d’Henri VI puis Richard III, puis en Cour d’Honneur le  Thyeste  de Sénèque , l’origine de la folie des Atrides.  Le théâtre de la cruauté, c’est son monde alors qu’à l’interview c’est le plus doux des hommes ! Pas étonnant que Pascal Dusapin et son librettiste Frédéric Boyer l’aient associé, au beau milieu de la construction de l’œuvre, pour mettre en scène ce  Macbeth underworld. D’où son émerveillement :  Pour un metteur en scène c’est un luxe, une chance inouïe, dont je ne cesse de m’émerveiller, d’avoir pu assister à la genèse d’une œuvre comme on assisterait à un accouchement .

L’interview de Thomas Jolly

Thomas Jolly, metteur en scène

Thomas Jolly, metteur en scène – © FJ

Christian Jade : Le titre suggère quoi ?

Thomas Jolly : Nous sommes dans une fantasmagorie sur le thème de  » Macbeth « , son monde souterrain, nocturne, infernal, mais aussi dans l’inconscient du couple, le monde parallèle des Macbeth. Shakespeare est pourtant là mais comme un palimpseste, l’outre-monde de Macbeth.

Inconscient, palimpseste et l’histoire ? On se perd dans un rêve somnambulique ?

Thomas Jolly : On est dans une machine opératique, une vraie belle variation sur Macbeth. Nous commençons notre histoire par la fin, comme si le couple Macbeth revivait sa propre histoire, enfermé dans un carrousel sinistre, dans le ressassement de leurs crimes comme un destin. Sont-ils les esclaves d’un destin déjà écrit ? C’est la question qui rendra fous Macbeth, et Lady Macbeth. Ils repassent dans leur propre histoire sans en être conscients. Mais tous les autres personnages sont conscients : les sorcières rebaptisées trois « sœurs bizarres », Banquo déjà devenu fantôme, ou le portier, un personnage grotesque dans cette matière sublime. Ou encore un chœur de femmes, comme un écho de ces « sœurs bizarres ». Cette meute d’esprits, de personnages fantastiques, cruels, jouent avec le couple devant nos yeux. L’orchestre aussi joue avec le couple, tout comme la mise en scène et la scénographie

Il n’y a pas un risque de confusion ?

Thomas Jolly : Mon travail c’est d’être clair et surtout de ne pas présupposer chez le spectateur une connaissance préalable l’œuvre qu’il est en train de voir. Ce sont deux personnages pris au piège de leurs propres crimes et de leurs propres culpabilités. Mais on n’est pas dans, un délire poétique de compositeur contemporain. On est vraiment dans une variation, somnambule et horrifique de l’histoire des Macbeth. C’est une histoire de fantômes qui s’amusent devant nous, comme si on avait fermé la Monnaie un soir en laissant le décor et que les personnages revenaient jouer leur propre histoire en pleine nuit à l’insu de tout le monde.

On nous décrit Lady Macbeth comme un personnage  » monteverdien  » ?

Thomas Jolly : Pascal Dusapin et son librettiste Frédéric Boyer veulent que le couple s’aime, hanté et meurtri par l’histoire d’un enfant décédé. Il est lui-même un fantôme, venu assister à cette macabre cérémonie, spectateur impuissant face à ses parents coincés dans leurs propres destins criminels. Il y a aussi cette scène incroyable où, seule dans son lit, Lady Macbeth voit le sang du roi Duncan assassiné dont elle a facilité le meurtre et qui l’infecte. Elle en devient folle et elle en meurt. Alors Lady Macbeth « monteverdienne » ? oui, elle devient somnambule et erre dans son château, pétrie de culpabilité, soumise à la folie.

Quant à Macbeth, c’est un guerrier, cadré pour tuer dans une bataille. Ici n’a pas de « cadre » pour son acte : de sang-froid il ne « tue » pas, il « assassine » d’où sa culpabilité.

Que gardez-vous ici de votre longue passion pour Shakespeare ?

Thomas Jolly : La théâtralité de Shakespeare est absolument fabuleuse parce qu’elle entremêle le grotesque et le sublime, mais est aussi très artisanale avec des artifices théâtraux très « avoués », partagés avec le public. Le théâtre élisabéthain ne s’enquiquine pas d’illusions. Un opéra contemporain ne veut pas dire forcément opéra « conceptuel ». Pascal Dusapin raconte une vraie histoire avec sa musique donc moi je voulais raconter une vraie histoire en créant ce carrousel sinistre, dans une scénographie qui ne cesse de tournoyer autour d’eux : on ne sait jamais dans quelle pièce du château ils sont.

Vous refusez le recours à la vidéo, par principe ?

Thomas Jolly : Jamais, je n’utilise de vidéo, jamais ! Je trouve toujours une solution beaucoup plus artisanale, … dont on voit le « truc » mais qui marche mieux finalement et que je trouve plus poétique, plus sensible et plus théâtrale. Le théâtre dispose d’outils et de métiers incroyables, d’accessoiristes, de machinistes, de perruquiers, de gens qui trouvent des trucs et astuces Alors profitons plutôt de cet artisanat-là plutôt que de toujours passer par la vidéo qui aplatit beaucoup.

Alors finalement que voit-on ?

Thomas Jolly : On voit des vrais fantômes, faits de draps ou de lumière et qui surgissent à l’improviste. On a des décors gigantesques qui nous arrivent dessus, qu’on n’avait pas vus arriver grâce au travail de la lumière et des machinistes. Le théâtre élisabéthain a tout compris : un fantôme doit arriver de l’enfer, donc il suffit d’ouvrir une trappe et puis de le faire rentrer par l’enfer tout simplement. Mais on y met un peu plus de sophistication ! On s’est fait vraiment plaisir, visuellement on est dans une scénographie très imposante, très onirique, d’un château, d’une forêt qui avance : on est quand même dans des grandes images assez épiques

Et la forêt qui avance, votre solution ?

Thomas Jolly : Au lieu de mettre une vidéo avec un gros plan sur une forêt, je cherche à l’introduire plus subtilement ? Pour moi, la forêt est souvent reliée à l’inconscient et si on regarde bien les arbres, ils ressemblent clairement à des neurones, enfin des connections qu’on aurait nous aussi dans notre cerveau. Et on arrive à une métaphore qui traduit visuellement l’origine des obsessions somnambuliques du couple Macbeth.

« Macbeth underworld » de Pascal Dusapin, mise en scène de Thomas Jolly.

A la Monnaie du 20 septembre au 5 octobre.

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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